Le Petit Conquérant

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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napoleon
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Le Petit Conquérant

Message par napoleon »

...« Il était une fois, une terre lointaine, une terre imaginaire, havre de paix et de plénitude, un endroit, où les animaux étaient libres, les mines inexploitées, les murailles inexistantes et où chacun trouvait son bonheur dans une grappe de fruits ; une contrée si lointaine qu’il faudrait mille lunes pour y arriver. Seuls quelques érudits voulant s’exiler d’une vie trop monotone et insensée à leur goût y sont parvenus, les autres se seraient échoués durant ce périple, et les corps sans âme et vaisseaux inanimés joncheraient les abymes de la mer…

...C’est près d’un petit village pas loin d’ici qu’on a retrouvé la première carte indiquant la position de cet archipel mystérieux, dans une grotte désertée, et infectée depuis de divers monstres plus sanguinaires les uns que les autres. Il paraît qu’elle est encore habitée par un homme grand et fort, avec l’air bête. Si l’on en croit la rumeur, cet ‘homme’ viendrait tout droit des îles dont je te parle… personne n’a jamais osé s’en approcher.

...Un jour que le soleil était pâle et les paysages blancs, quelques enfants sur la plaine immaculée après une nuit mouvementée, jouaient à se jeter des boules de neige. L’un deux voulant avoir son ami par surprise, se tapit dans l’ombre d’une caverne qu’il venait d’apercevoir. Alors qu’il tenter de former une boule avec la matière blanche disposée au seuil de la cavité, en enfonçant ses doigts endoloris par le froid dans celle-ci, il crut tenir un bout de feuille. C’est ainsi qu’il trouva la mystérieuse carte… Désormais, elle doit sans doute traîner dans le grenier d’une chaumière, sans même que les habitants n’en soient au courant… »

...La mère du Nain à moitié endormi dans son lit reprend son souffle, regarde où en est le sommeil de son fils et voyant que, malgré ses yeux plissés, l’enfant ne dormait toujours pas, elle se sentit obligée de continuer son histoire :

...« Personne ne sait vraiment où ce morceau de papier abîmé par le temps se trouve aujourd’hui. En réalité les gens pensent que tout ceci est tout droit sorti de l’imagination débordante d’un homme peu scrupuleux, que cette histoire n’est que légende, cette île un mythe, et cette carte un mirage...

...Quelques temps plus tard, une bouteille vide s’est échouée sur la plage. Un pêcheur qui passait par là l’a ramassée et y a trouvé, enroulée sur elle-même, une lettre qui, apparemment, n’avait pas pu être finie. On pouvait y lire en ces termes, à peu près cela :

...............« Ce message est destiné à celui qui le trouvera, mais aussi et surtout à tous ceux qui l’entourent. Je veux que cette nouvelle soit connue de tous, que personne n’échappe à celle-ci.

...............Aujourd’hui, moi, Rindil Costevos, suis arrivé dans un lieu qui vous est aujourd’hui inconnu. J’ai dans le devoir de vous y raconter ce qui se passe. Ce que je vois ici est abominable, je me trouve à l’instant même dans une cachette d’infortune, construite dans l’embarras et la peur de me faire voir par… ces créatures. En effet, j’ai été accueilli très chaleureusement à mon arrivée par une horde de gobelins qui semaient le chaos dans les environs, je m’attendais à trouver ici une île inconnue, déserte même, qui deviendrait ma pseudo-demeure, calme et paisible, et j’ai trouvé une île en flamme ravagée de toute part, saccagée par des créatures innommables. Je ne sais pourquoi cette colère s’est abattue là, mais ce que j’ai vu aussi en arrivant, c’est une cité de pierre blanche au loin, il y a donc quelqu’un dans ces contrées hostiles. Et ce quelqu’un mérite tout autant que nous de vivre sa vie.

...............Je lance là un appel aux bonnes âmes, réunissez vos affaires ! Sortez de vos tavernes ! Nous sommes désormais leur seul moyen de ne pas périr dans le feu ! Ne soyez donc pas couards et affrontez la réalité, nous ne sommes pas seul. Et un jour où l’autre nous aurons connaissance de ce peuple, qui sait s’il viendra en paix ou nous fera la guerre ? Prenons les devants et allons là-bas. Vainquons ces bêtes féroces qui marchent sur ces terres en détruisant toute forme de vie ! Ces terres qui seront peut-être nôtres si nous somme forts ! Faîtes donc quelque chose de grand dans votre vie, plus tard on inscrira votre nom sur les murs, avec ceux de vos amis qui vous auront suivi dans ce voyage. Vous resterez gravé dans l’Histoire, vous serez l’honneur de la famille, sa fierté, on ne parlera plus de vous comme d’un simple marchand, ou bien d’un fermier, ou même d’un mineur que sais-je ? Pour la dernière fois, si vous ne le faites pas pour ces pauvres gens qui vivent un enfer là-bas, faîtes le pour votre honneur, croyez-moi, on se souviendra de vous…

...............Je vais donc essayer de vous indiquer, avec les faibles moyens dont je dispose où je me… »


...Hélas, comme si l’on en avait empêché, il n’a pas pu finir cette lettre. Un long trait d’encre et quelques gouttes de sang feront offices de signature. Il aura sans doute, après avoir été attaqué, dans un dernier effort, balancer la bouteille à la mer…

...Encore une fois, cette histoire a été racontée nombre de fois, et il faut garder un esprit critique sur les rumeurs qui tournent dans le village et autour de celui-ci… »

...La femme se retourne et jette un regard sur son fils, il dort à poings fermés. Sans se presser, elle part dans sa chambre et s’endort aussitôt…
Dernière modification par napoleon le 18 oct. 2007, 14:18, modifié 4 fois.

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napoleon
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Message par napoleon »

.....La nuit a été longue et agitée pour l’enfant. Les mêmes images ont tournoyé dans sa tête en boucle, il imaginait déjà retrouver la carte, s’acheter un bateau après avoir vendu ses jouets, et partir défendre l’île envahie, avec ses matelots qui le suivraient jusqu’à la mort. Cette histoire ne l’a jamais quitté. Une fois par semaine, si ce n’est plus, il demandait, quémandait, suppliait sa mère de lui raconter pour la énième fois ce récit passionnant. La mère ne savait que faire, elle qui ne voyait son enfant qu’au moment de la nuit tombée, ne pouvait lui refuser ce caprice. Et elle cédait, comme à chaque fois, sous la puissante volonté de son fils qui se montrait aussi persévérant que possible… : « Môman… je t’en prie, j’adore cette histoire, tu le sais… raconte-là moi, s’il te plaît. Je serais le plus gentil des enfants. Môman…» La mère désolée de cette situation, voyant que son fils avait la larme à l’œil, tombait dans le piège du cercle vicieux et racontait inlassablement, comme elle le disait, ‘l’histoire de l’île merveilleuse’… Alors elle trépidait de joie quand, par un coup d’œil jeté par-dessus l’épaule, elle voyait son fils battre des cils, et se mettre dans une position qui annonçait le sommeil. Curieusement, le môme s’endormait toujours au même moment, alors que la mère avait fini de lire la lettre. Jamais il n’eut l’occasion d’écouter la suite du récit, et ce, au plus grand plaisir de la mère.

.....Mais la mère, un jour qu’elle était en pleine forme intellectuelle, eut l’idée de retranscrire son histoire dans un petit carnet, ainsi, l’enfant pourrait la lire et la relire à sa guise, sans même déranger le sommeil de sa pauvre mère, qui rappelons le, travaillait toute la journée et aspirait donc à un peu de repos.

.....Dès qu’elle avait du temps libre, elle le consacrait à sa plume, et il faut le dire, elle aimait écrire. « De toute façon, se disait-elle, tout ce temps perdu sera largement rattrapé par la suite, quand j’aurais écrit ce fichu bouquin ». En réalité, ‘bouquin’ est un grand mot pour une courte histoire ne dépassant pas les trente pages. Mais elle y mettait tout son cœur, comme un cuisinier aurait fait sa spécialité, elle écrivait des tournures littéraires, des comparaisons plus belles les unes que les autres, des petits mots pour que son enfant comprenne, et cætera, et cætera…Elle avait dans l’idée d’offrir là le plus beau cadeau qu’ait pu faire une mère pour son enfant.

.....Bientôt, elle s’approchait de la fin, une fin que l’enfant ne connaissait d’ailleurs toujours pas, son sommeil coupant l’histoire d'un trait. Alors elle fit de cette partie de l’histoire, un récit de suspens, où son fils aurait peur, où il rirait peut-être, ou même bien qu'il pleurerait. Elle se lançait dans un lyrisme dépassant toutes formes d’existence, et se délectait de chaque nouvelle formule qu’elle trouvait belle et appropriée. Avec le temps, elle prit de l’expérience et sut placer exactement le bon mot sur sa pensée, le texte avait une sonorité qui résonnait harmonieusement dans les profondeurs obscures qui forment notre corps, chaque membre vibrait, tous les sens étaient stimulés. Elle pensait même à l’écrire en plusieurs fois, tant elle était fière de son œuvre.

.....Quand l’hiver approcha, le doué écrivain qu’elle était devenue, dans un soupir qui en disait long, d’une vive attaque à l’encre noire, plaça avec orgueil le point final. Qu’est-ce qu’elle fut heureuse à ce moment-là ! C’était comme si on lui retirait ses chaînes, elle se sentait libre désormais. Il ne lui restait qu’à trouver le bon moment pour offrir ce chef-d’œuvre au petit Nain assoiffé de lecture. Elle eut bien vite l’idée de lui offrir pour son anniversaire.

.....Malheureusement, la mère était maintenant en proie à être insomniaque, et elle comprit qu’il fallait qu’elle continue d’écrire. « Après avoir touché à ça, on ne peut plus s’en passer » disait-elle avec un enthousiasme entraînant. Ainsi, elle se remit à écrire. Elle avait le don de la plume ; une simple histoire avait su révéler en elle l’esprit littéraire, enfouis en elle depuis trop longtemps sous la dure et longue monotonie du travail au champ. Elle écrivait d’abord des contes et nouvelles pour enfants, et plus tard écrirait, non sans tact, des romans qui irait de la simple histoire d’une conquête à celle du récit d’un homme. Elle fut même l’auteur de prières funèbres, qui dans un souffle porté par le vent, apportait la funeste nouvelle aux habitants ; elle savait mieux que quiconque rendre les choses plus belles, et même plus tristes…

.....Mais revenons à notre nain et son fanatisme pour ce folâtre récit. Il a toujours eu dans l’idée de partir, cela fait un an maintenant. A force d’économie, car nous le savons, les Nains sont assez économes, il a réussit à se concocter la symbolique somme de 50 pièces d’or. Une petite chose direz-vous, mais il faut savoir que dans ces régions où on ne vit que de récolte, la pauvreté est dominante. Et réunir cette cinquantaine de pièces d’or, c’était assurément une prouesse. « Cet enfant en a là dedans, murmurait sa mère, un jour il sera connu et respecté, et il pourra subvenir aux besoins de notre famille, payer nos dettes… ». Là n’était pas du tout la pensée de ce petit être. Avec sa bien-méritée richesse, il espérait vagabonder dans des villages, tout autour de la côte, près des montagnes, et peut-être trouver la carte qu’il espérait tant. Mais aussi, il économisait pour partir, un jour, rejoindre le pauvre érudit là-bas. Désormais, ses pensées étaient plus claires, il n’avait plus la fougue de l’enfant, mais déjà une certaine sagesse qui le faisait apprécié des autres. Et il savait que ce ne serait pas en vendant ses anciens jouets, qu’il trouverait l’argent pour partir. Son avenir, il l’avait déjà tracé, lorsque pour la première fois, il écoutait ‘l’histoire de l’île merveilleuse ‘...

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napoleon
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Message par napoleon »

.....Ce jour-ci, c’était le printemps. Les bourgeons fleurissaient et les fleurs bourgeonnaient. Les arbres délaissés par le froid reprenaient peu à peu l’ampleur et la majesté dont ils étaient fiers, partout les oiseaux chantaient un hymne à l’amour, des petits moineaux à la plume douce et chaude –spécialité régionale, le moineau à la broche…, des rouge-gorge au teint écarlate et à la voix aigüe, des aigles qui tournaient inlassablement autour du soleil, en quête d’une proie, amoureuse ou culinaire ; on entendait au loin dans la montagne le cri craintif des marmottes, le meuglement des vaches de prairie, les hennissements des chevaux… ; c’est alors que l’odeur des fleurs de champs survenait, une odeur mêlée de romarin, d’œillets sauvage, de thym...relevée par le fort parfum des fleurs capiteuses de la région, portée par une brise encore fraîche du matin ; une somptueuse symphonie pour la bouche, le nez et l’oreille, un spectacle somptueux pour qui serait sensible aux charmes de Mère Nature, qui aujourd’hui se sentait éclore et brisait la fine pellicule de glace qui l’opprimait depuis déjà trois mois.

.....« C’est l’heure ! Il est temps de se réveiller. Hé ! Tu m’entends quand je te parle ? Tu as déjà oublié ?
-Hum…quoi… qu’est-ce qui il y a ?
-Ah mais quelle tête en l’air ! Aujourd’hui c’est le printemps…
-Hein… et alors ?
-Et alors il y a du boulot au champ, bougre d’âne !
-Bon sang, j’avais oublié…
-Allez debout, ne traîne pas, enfile tes habits et viens dans le champ, tout de suite.
-Oui, mère.
-Je t’y attends, ne tarde pas. »

.....Hélas, nous n’avons sans doute pas le même point de vue sur le printemps. Forcé est de croire que la journée sera rude et éreintante. Le pauvre printemps aura beau joué de toutes ces ruses pour attirer regard vers lui, en vain, chez ce petit peuple, cette saison rimait avec travail. Et la poésie de la nature, on s’en moquait bien éperdument.

.....Nous allons donc consacrer ce temps à un retour en arrière, pour évoquer un accident.

.....Automne, Octobre, 17. Un Nain paraissant assez âgé sortit de sa maison, comme à son habitude, alors que sa femme dormait et que la nuit était encore maîtresse des lieux. D’un geste mécanique il ferma la porte de sa modeste demeure à double-tour, et se dirigea imperturbablement vers son lieu de travail. Sa marche était rapide, déterminée, confiante. Il traversait le village, impassible à tout ce qui l’entourait, semblant réfléchir à quelque chose de grave, mais ne laissant pourtant pas échapper le moindre signe d’un sentiment quelconque sur son visage. Arrivé à la bannière de délimitation, trois chemins s’opposèrent à lui, l’un partant vers les bois, l’autre vers la montagne et le dernier rejoignant la rive du lac Ohl’igh. Sans hésiter, il s’engouffra dans le sentier sombre qui menait aux sommets. Chaque pas était chronométré, mesuré, appréhendé, tout avait l’air d’être prévu, et les mouvements de pieds s’enchaînaient l’un après l’autre, la botte gauche essayant, par fatalité, de rattraper celle de droite. Le bruit de ses pas était tel le battement d’une horloge, que rien ne peut arrêter si ce n’est le manque d’énergie.

.....Il longea un long précipice et commença tout à coup à frémir, comme si les ténèbres l’appelaient et lui disaient ‘Viens…approche-toi du bord…’, tout à coup sa marche devint irrégulière. Au fur et à mesure qu’il longeait la cavité, son corps valsait d’un bord à l’autre ; les fantômes d’outre-tombe l’approchèrent alors de très près, comme pour le tâter du doigt. Le pauvre mineur se mit à courir, le plus vite qu’il pouvait ; pendant ce cours instant, il revit défiler sa vie image par image, et bientôt il pensait à son fils, qui lui était encore au chaud, dans le ventre maternel, il aurait tant voulu le voir… Malheureusement il ne le pourra. Déjà il se sentait essoufflé, alors que se profilait au loin sa mine .Et tout à coup en lui, ce fut le vide, le néant total, il n’entendait ni ne sentait plus rien, ses muscles se relâchèrent, son cœur diminua la cadence, le sang stagna… Et, on dira que ce fut la faute du vent, le vieux s’abattit au sol, roula vers la gauche, et dans un fracas tumultueux, tomba dans le ravin. Après cinq longues secondes d’hurlements, un bruit sourd remonta à la surface et marqua la mort du pauvre homme. Le précipice sembla dire, de ses feuilles frémissantes au vent, d’un air satisfait, un grand merci à cet homme. Cette nouvelle provoqua un étourdissement sans précédent au village. Mais heureusement, sa mort n’aura pas été vaine, car après sa mort, on bâtit, à l’emplacement de sa chute, non pas un tertre en son honneur, mais une barrière en bois.

.....Peu de temps après, alors que la veuve réunissait les affaires du feu mari, elle découvrit un petit carnet disposé sous l’armoire de sa chambre :

.....« Ma chère femme, si tu lis en ce moment ce carnet, alors tu lis là les ‘mémoires’ d’un défunt. Je devais être amené à mourir, il n’y avait pas d’autre solution ; hélas je n’ai pas eu la force de te le dire, j’espère que ta colère envers moi sera atténué par les faits…

.....J’ai, par de trop nombreuses fois, fait des choses que… je n’aurais pas du faire, lorsque j’étais à la mine, seul, le soir... La première fois, ce fut le 14 mars de l’année dernière […] »


.....Afin de gagner du temps, nous irons au but sans passer par les préliminaires… :

.....« Je voudrais donc que tu me pardonnes, et si tu ne le peux, oublie moi à jamais, en tous les cas, je ne te méritais pas.

Ton homme qui continuera de t’aimer,
même sous la pierre qui le sépare de la vie. »


.....C’est en sanglot qu’elle accueillit la funèbre nouvelle et la jadis magnifique écriture du mari s’enfuît bientôt dans un fleuve de larme, qui marqua définitivement sa fin…

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napoleon
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Message par napoleon »

.....« Mère, quand aurons-nous donc fini ? J’ai beau tanner ce champ depuis cinq heures, mais… je n’en vois pas le bout.
-Cesse donc de geindre comme un bébé. Parfois je me demande si tu ne serais pas un brin fainéant.
-Pardon, mais j’avouerai que tout ce travail qui ne nous sert guère qu’à nous nourrir ne m’intéresse pas.
-Inconscient ! Et que ferais-tu sans cela ? Hein ? Dis-moi.
-Des choses que vous ne seriez pas en mesure de comprendre. Comme… réaliser un rêve qui m’est cher. Ainsi j’aurais l’opportunité de faire ce qui me semble important. Car tout cela ne rime à rien, ce n’est que survie. Alors quand je pense que d’autres ont eux, vraiment besoin de nous, et que nous n’osons même pas les écouter, il est vrai parfois que mon moral en prend une joute. »

.....Le jeune garçon enfonce d’un puissant coup sa pelle dans le sol abîmé par une journée de ratissage.

.....« C’est vrai quoi ! Tout ça ne rime à rien…
-Je n’ai que faire de tes bêtises, reprends ta pelle et mets-toi au boulot bon sang !
-Oui, mère… »

.....A ce moment-là, la mère se rendit compte que son fils n’était plus le même, il s’était métamorphosé sans même qu’elle ne le voit. Ce fut aujourd’hui qu’il cracha ses premières gouttes d’un venin, formé par la péremption de principes dictés trop longtemps sans qu’il en comprenne le sens ; aujourd’hui, il rejetait tout ce qui lui avait été cher ; aujourd’hui il délaissait son peuple, sa mère, pour s’adonner à sa raison de vivre ; aujourd’hui enfin, il fit les premiers pas d’une longue route qui s’annonçait pleine de pièges, d’obstacles, d’embuscades de traitrise, de bassesses, mais aussi d’amitié, de paix et de sens. Aujourd’hui, il donna vie à une foule de pensées, désormais il ne se battrait plus pour la survie de sa famille, mais bien pour la survie de ces idéaux.

.....Le ciel se teignait de noir quand ils eurent fini de ramoner la terre en tous sens. Lentement le jour agonisait et le paysage tombait peu à peu sous la couche noire de la nuit. Et l’enfant se disait au plus profond de son être : « Adieu champs bouseux, adieu ravin meurtrier, adieu village fantôme, adieu forêt infestée, adieu mes amis, adieu mes proches, adieu ma mère. » Une grosse larme perla sur sa joue lorsqu’il prononça cette parole, mais fier et courageux il continua à discourir en tête à tête, avec lui-même : Je vous dis adieu à tous, vous qui avaient fait mon bonheur ou mon malheur, désormais vous appartenez au passé et vous n’en sortirez plus ! Ignobles créatures que vous êtes ! Vous n’avez même pas su ouvrir vos oreilles aux cris et aux pleurs, c’est abominable. A moi l’île de l’avenir, à moi la liberté de penser. Prenez donc garde, vous qui faîtes régner le chaos en ces terres. Vous allez tâter mon bâton. Rindil Costevos, j’arrive sauver ta dépouille et ton honneur. »

.....Les étoiles commençaient peu à peu à éclaircir l’horizon de leur lumière lactée, la lune sortit alors de sa tanière comme pour prendre l’air, et c’est dans un ciel d’apothéose, constellé de mille feux et de toutes parts, que le jeune homme quitta la scène.

.....Cette nuit-là il dormit mal, tourmenté par l’avenir dans lequel il se voyait déjà vagabond. Il méditait à tout ce qu’il devrait quitter. Un malaise s’installa en lui quand il en vint à penser à sa mère. Il savait qu’avec son âge, s’occuper d’une ferme serait de la folie, mais s’elle abandonnait celle-ci, elle renonçait à son gagne-pain, et se posait alors question du comment. Comment ferait-elle pour subvenir à ses besoins ? En effet jusque là il voyait la chose différemment, c’était elle qui le faisait vivre. Cette nuit il se rendait compte que l’inverse s’était produit. Alors qu’il n’avait pas encore posé le pied hors de son village, il regrettait déjà ce pas.

.....Il lui semblait pourtant qu’il n’y avait pas d’autre solution. Alors retournant la situation, plutôt que de se lamenter et au final abandonner son rêve, il cogita longuement au sujet de sa mère.

.....Après trois heures, il résolu enfin l’équation. Il lui sembla naturel de trouver un travail pour sa mère, et c’est ce qu’il fit tout de suite. Il sortit donc de sa misérable chambre et trouva, dans un tiroir de la cuisine, une liasse de journaux. Enfin, c’est dans l’avant-dernier qu’il trouva ce dont il avait besoin :

.....« Cherche personne capable d’aider un vieux monsieur à la ferme. Rétribution très satisfaisante, au moi. Repas compris. Possibilité de loger sur place. 10 sous par journée complète. Merci d’avance. Village du lac d’Ohl’igh, 5 rue des Acacias. »

.....Rassuré, il finit sa courte nuit, rêvassant à son avenir qui se dessinait sans obstacles.

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napoleon
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Message par napoleon »

.....A six heures, le Nain se réveilla. Il n’avait que peu dormit mais ne pouvait se résigner à reporter son départ, il fallait qu’il le fasse avant que cette fougue ne s’échappa de son esprit. Décidé donc, il s’extirpa de sa paillarde qui composait son lit, et commença sa toilette : quelques coups de brosse sur sa rêche chevelure brune et un verre d’eau sur le visage. Maintenant qu’il se sentait ‘propre’, il commença à rassembler ses affaires, ses bagages pour un long voyage - tout ça dans le silence encore intact de la nuit. Pour commencer, il réunit ses 93 pièces d’or cachées dans les méandres du plancher, interstices terreux entre les planches de bois, où il était facile de tapir des objets tels que des pièces, mots d’amour ou autres finesses, mais hélas difficile de les en extirper. Avec de l’ardeur et une branche qui traînait dans sa chambre, il retira ses pièces, une à une. Il en retrouva 79, c’était donc une perte de 14 pièces ! « Mais qu’importe, se disait-il, ma mère les trouvera et s’en servira, pourvu qu’elle ne déménageât pas. » Ensuite, il prit quelques bout de résine en cercle, qu’il utilisait pour faire sa seule mais symbolique tresse dans sa barbe. Quand il jugea qu’il avait pris tout le nécessaire, il descendit, à pas de loups. Malgré un contrôle total de lui-même et de son esprit, à chaque marche on entendit un craquement, comme si celles-ci s’opposaient à son départ. Du tiroir de la commode il tira une bague d’une beauté intacte, d’où émanait une lueur très faible, avec des teintes bleues, vertes claires et foncées. Il y avait comme une sorte d’aura autour de celle-ci, une aura de la même couleur que l’anneau en or. Après l’avoir regardé longuement, comme un enfant languit devant une sucrerie, il l’enfila à son doigt et referma le meuble. Cette bague, c’était celle de son grand-père, un bijou de famille grâce auquel celui qui le portait pouvait entendre les conseils de ses pères. Un rite consistait à faire entrer l’âme du défunt dans la bague mystique, en dansant autour d’un feu de bois comme l’auraient fait quelque primitif des temps anciens.

.....Il se dirigea vers la cuisine, c'est-à-dire une pièce difforme, où siégeaient la pourriture, la péremption, un manque de temps considérable qui se reflétait dans celle-ci. Puis il arriva au garde-manger. Il prit deux-trois légumes fraîchement cueillis de la veille, un petit sac de farine et un ‘pain charbon’, ce fameux pain qui est cuit jusqu’à ce qu’il devienne noire, seulement sur la croûte. Il négligea de prendre toute autre chose qui aurait pu l’encombrer dans son périple et sortit du garde-manger.

.....Maintenant, il allait écrire un petit mot à sa mère pour lui expliquer la chose. Il se rendit donc dans la salle à manger, toujours clopinant discrètement, à sa manière, pour ne pas éveiller la mère. Alors qu’il franchissait la cuisine, il poussa un petit cri pincé d’effroi, sa mère se traînait là, dans la salle des convives, l’œil encore flou après sa nuit. Quand elle entendit l’hurlement incertain de cet individu, elle-même, elle beugla telle une vache tout en partant vers le haut. Son fils dépité restait là sur place, ne sachant que faire, ne comprenant pas la situation. La mère revint alors, armée d’un petit coutelas, et dans une course démesurée elle se précipita dans les escaliers, titubant comme l’aurait fait un ivrogne. Alors qu’elle allait abattre sa lame dans sa poitrine, elle reconnut sous sa capuche son fils et tout en meuglant un cri d’épouvante, elle se détacha de sa cible et alla se percuter contre la commode, l’amochant lourdement de son couperet.

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