[V] Je me nomme

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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volesprit
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Re: Je me nomme

Message par volesprit »

Chapitre huit: sans âme.
partie deux: libération


Je trône toujours dans mon amphithéâtre improvisé. Un lieu vraiment tranquille, cette bibliothèque.
Notre bibliothèque même devrais-je dire, si seulement nous pouvions nous approprier pérennement un bout de ces terres maudites.
Car sans racines, sans repères, sans terres propres, les gens dérivent et paniquent si vite…
Peu de personnes connaissent le vrai détachement, et si peu savent être le centre de leur monde sans influences extérieures, sans vouloir nécessairement devenir le centre de celui des autres.
C’est pour ça, qu’ici, les Landes ont beau jeu de pervertir les âmes errantes que nous sommes…
Nous transformer en nombril est si tentant… si facile, si protecteur.
Tiens, au passage, mes sens engourdis m’informent qu’il faudrait que je ferme la bouche et respire. Avec tous ces essais d’interprétation, j’en perds la notion du temps.
Et mes yeux qui fixent toujours ce médaillon comme la plus sainte des reliques.
Vole, ferme la bouche on te dit.
Ah oui.
Beuh ? J’ai du me coincer la mâchoire à force de chanter.
D’ailleurs, je ne me souviens plus dep…
Ma tête se tourne sèchement vers l’entrée, alors que je ne lui ai rien demandé.
Hé, j’ai pas voulu faire ce geste moi !
« Calme-toi » Ma voix résonne et provoque ma stupeur.
Hein ?Qui qui parle ?
« Tu as fait ta part de travail »
Ohh non ! V’la qu’ça recommence… Encore un de ces foutus rêves éveillés!
Bon sang, faut que je me réveille ! Allez, zou ! Dehors !

Mais rien ne bouge. En tout cas pas moi.
Héééé ! Mon corps me répond pas !
« Cesse de t’agiter. Prépare-toi au choc. »
Me préparer à quoi ? Qui parle d’abord ? Je rêve hein ? C’est ça ? J’dois m’réveiller.
« Tu as raison, c’est l’heure du réveil… Raccroche-toi à ce que tu peux… »
M’accrocher ? Et à quoi ? Rends-moi mon corps ! Qui es tu d’abord ?
« Appelle-moi Maître, si tu veux !»
S’ensuit un rire déplaisamment moqueur.
Rends-moi mon corps !
« Silence ! Ecoute ! N’entends tu rien ?»
Une mélopée lancinante s’élève aussitôt.
D’une maîtrise époustouflante, ses notes sont d’une justesse à transpercer les cœurs les plus froids...Sa mélodie incertaine se fait tour à tour cajoleuse, presque caressante, puis entrainante à l’instar de la plus joyeuse des réjouissances.
Versant du baume au cœur et pansant les plaies à l’âme, ses notes se fraient facilement un passage jusqu’au plus profond de moi.
Susurrant l’abandon, la bienfaisance du repos, berçant de leurs illusions ma concentration, elles monopolisent et redirigent mon attention… jusqu’à… jusqu’à…en perdre… la maîtrise…de soi…
Douceurs généreuses…promesses divines…
Repos mérité…
J’ai…
..déjà…
entendu…
ça !

..
.

La lune éclaire faiblement mon état.
Je suis prisonnière.
Enfin si l’on peut dire.
Disons que je n’irai nulle part.
D’ailleurs où aller, après ce que j’ai fait ?
Mais il est vrai qu’enterrée dans le sable jusqu’au cou, cette question est anticipée...
Le peuple bleu n’a que faire de mur.
Il n’en a jamais eu besoin.
Encore moins de barreau, ou de prison.
Le sable est si pratique…Et le désert si infranchissable.
C’est comme un bâillon…
A quoi servirait-il quand seul le silence vous répond ?
Je semble hors de portée de voix du clan, leurs feux de camp illuminent au loin la courbure des dunes.
Et c’est la sans-oreille qui me garde, aucun risque de la charmer celle-là, sourde de naissance qu’elle est…
Je n’en ai nulle envie, de toute façon.
La nausée me vient aux lèvres dès que je repense à mes actes d’il y a deux jours.
Tant de souvenirs des miens, que j’ai effacés, absorbés…
Tant de désespoir, de reproche, dans la voix de mes parents…
Tant de personnalités que j’entends en moi, parler encore et encore, ressassant leur souvenir à l’infini, des souvenirs d’autre que je ne veux pas, que je ne veux plus… assez… assez !
Je vais devenir folle.
Je le suis déjà.
Je veux que cela cesse.
Je veux mourir !
Non ! Pas mourir, oublier !
Oui ! Oublier ! Voilà !
Seul l’oubli peut encore me sauver !
Et un chant permet cela!
Ce chant, pour la deuxième fois !
Mais rien que pour moi.
Pour que ces voix me laissent enfin tranquille…
Pour que la sérénité me revienne.
Enfin.
Pour que tout se déroule comme avant.
Il faut que j’isole ces gens en moi.
Même si j’y perds des parties de moi-même.
Ce qui restera de moi en sera libéré.

J’entonne les premières notes, vois la sans-oreille courir pour prévenir le conseil qui s’est réuni pour me juger demain.
Cours petite. Cours.
Il est déjà trop tard.
Tu cours, impuissante, et moi, prisonnière, je fuis.
Bientôt, je serai à nouveau sereine.
Demain sera un autre jour.
Demain, je serai autre.
Demain, je serai…innocente ?
J’en pleure alors que continue mon chant.
.…
..
.

Le désert et son ciel étoilé se transforment en pièce étriquée où s’entassent les livres…
Hé !
Ca y est !
Le chant !
Ce chant !
C’est mon chant !
Je l’ai déjà chanté il y a longtemps!
Hé toi ! N’écoute pas ça !
J’veux plus le chanter.
Il ne faut pas.

« Ha ? Il ne faut pas ? Et tous ces gens, Volesprit, tu y penses ? Non. Tu n’y penses pas.
Alors voilà ce que je fais. J’y pense pour toi. Pour eux. Il est temps qu’eux aussi connaissent le repos de l’âme. Que nous aussi, nous le connaissions. »
Mais je ne veux pas mourir ! Pas maintenant !
« Qui te parle de mourir, Sibylle? Tu n’as pas grand chose à craindre, toi. Ton corps est encore là pour accueillir ton âme, même estropiée. Alors que tant d’autres n’en ont plus. Il est temps que leur chant retrouve la Voix Divine, voleuse d’esprit. »
Cette voix !
Thar ? Thar, c’est bien toi ?
Et tu me disais de t’appeler maître !

« Chut. Ecoute ces voix que tu vas libérer. Regarde en leur mémoire. Tu comprendras.
L’isolement a cessé. Toi et Les landes ont bien travaillées… Oh oui. Nul n’aurait sapé mieux qu’Elles ton isolement mental…notre Tin, dans sa grande sagesse, a eu raison de t’envoyer ici après que tu te sois estropiée cette nuit là… Ecoutes ces âmes-chants Volesprit… Et libère toi enfin.»
Ma bouche s’ouvre.
Des notes en sortent, autonomes.
Et je me perds pour la énième fois dans leur méandre.

..
.

Je suis multiple.
Femme/Enfant/Vieillard/Homme.
Je suis celle qui met au monde celui qui détruit.
Je suis la connaissance et l’ignorance mêlées.
Celui qui subit ce qu’elle fait.
L’innocence et la duplicité.
Voix rocailleuse et note diaphane.
Une.
Harmonique.
Forcément divine ?
Et soudain, l’aveugle que je suis voit enfin la Lumière venir vers soi.
Une Lumière si intense que d’un coup, je représente si peu !
Que je ne peux être dieu, tant C’est immense où je suis limitée.
Intemporel où je suis somme d’éphémère.
Amour uniforme contre corps composite.
Omnipotente où je suis simple bleue.

Puis, c’est l’Appel… une note, un commandement, une attirance incontrôlable…
Un à un, des filets d’âmes, de lumière musicale, quittent mon écheveau piège pour se diriger vers ce grand tout qui menace de m’englober.
Certaines s’y fondent, quand d’autres semblent se diriger ailleurs…
A chaque passage de mes ex-captifs, j’en perçois des images, des voix que je crois reconnaître, d’une autre vie…
Des jeux d’enfants où perce la gaieté…
Du travail d’artisan…
Des cours de chant…
Une vie de mère prévenante…
Mais toujours, en sourdine, l’horreur de mon chant d’alors, vu par les yeux impuissants de mes victimes…
Et plus ces souvenirs me quittent, plus la présence qui les absorbe ou les libère me parait écrasante et assourdissante.
Si faible, je deviens si faible…
Tant et si faible, qu’à la fin, seuls trois filets lumineux tournoient autour de mon être…
Une lumière qui ne peut être que mienne, courte, erratique mais vive …
Une seconde qui semble toujours avoir été là, à moitié tronquée, lente mais réguliere…
Et une troisième, masculine, ample et puissante, qui cherche désespérément à communiquer avec moi.
Les deux premières se touchent enfin, s’entrelacent puis fusionnent pour devenir presque aussi ample et lumineux que celle de l’homme. Des souvenirs me reviennent. Comme s’ils n’avaient jamais disparus.
Ce crime d’alors, qui, sur l’estrade du Tin, m’a vu ôter les souvenirs et parfois la vie d’une partie de mon clan par ce chant maudit, motivée par une rage aveugle, celle d’être bâillonnée…
Ma seconde faute, aussi… Celle de n’avoir pas voulu faire face à mes juges cette nuit là, dans le désert, et d’avoir chercher à me faire oublier mon propre crime, condamnant par là même mes victimes à ne jamais se retrouver…
Mais je revois aussi ma mère, m’expliquant calmement les Préceptes.
Je revois mon Thar, m’enseigner patiemment les Chants Religieux.
Et mon père, une lueur de fierté dans les yeux après avoir assisté à quelques uns de mes premiers Cantiques.
Et tant d’autres choses.
De bonnes choses.

« Sibylle ?»
« Oui Thar ? »
« Tu as compris ? »
« Oui. Pardonne-moi Thar…»
« C’est ainsi, tu as surpris les meilleurs d’entre nous…c’est ainsi. Et mon corps n’est plus là… aussi promets moi… »
« Je te le promets solennellement, Thar. Et je te pardonne aussi…»
« C’est mieux. C’est toujours mieux ainsi. Prouves leur que, finalement, je ne me suis pas trompé sur toi, petite…Prouve leur…Adieu»
Le filet me quitte…
L’aveuglante lueur disparaît aussi subitement qu’elle était venue pour me laisser une fois encore devant un rayonnage de la bibliothèque bleue.
Et ma réponse trop lente retentit platement dans le silence de la pièce :
« Thar…Je ne suis plus …petite… »
C’est bien ma voix.
C’est mon corps.
C’est moi.
Enfin.
Entière et intègre.
J’en crie de joie :
« Moi ! Moi ! Moi !
Et plus de visions, y’a pas intérêt !
Marre de parler à des fantômes en plein désert…
Marre de croire à des fausses lettres alors qu’elles sont bien de ma main…
Marre de passer pour une folle sur l’ile de l’oubli à te parler, Thar, alors que t’étais uniquement dans ma tête…
T’entends ?
Je suis enfin Moi ! »
Seul le silence me répond.
Thar…il est parti…
Celui qui m’a enseigné le chant.
Celui qui a veillé sur moi.
Celui que j’ai estropié, au milieu des autres, en chantant il y a si longtemps…
Celui qui m’a sauvé, malgré tout.
Le seul à avoir une si grande volonté qu’il m’ait influencé de l’intérieur…
Mais il n’est plus, désormais…
Et j’ai promis. Je lui ai promis d’aider mon ancien clan.
A panser les blessures que j’ai infligées.
A prouver qu’il ne s’est pas trompé sur moi.
Je me dois d’y aller, et dès maintenant…

Un autre chant inconnu s’élève.
Une silhouette disparaît subitement.
Et personne n’aurait su dire la cause des larmes s’étalant sur des joues qui seront bientôt, elles aussi, inévitablement oubliées…


Aux miens, que je laisse ici, dans ces îlots :
Vous comprendrez.
Je l’espère.
Vous comprendrez qu’ici, pour moi, ça n’aura été qu’un rêve, finalement.
Un rêve pour m’oublier.
Un doux, plaisant et cruel rêve, où mon absence parmi vous ne changera rien, ou si peu.
Un rêve où des promesses non tenues ne peuvent valoir celles qui me lient depuis si longtemps.
Car ma présence est nécessaire ailleurs, et j’ai déjà trop tardé.
Adieu donc, Miroirs des âmes, Landes Fantoches, Infatigables Préceptrices.
Adieu, Natifs, Adieu Aventuriers, Grands comme Petits, Bons et Mauvais.
Adieu, tous ! Avec regrets !

Mais j’arrive, les miens.
J’arrive, ceux que j’avais oubliés, ceux qui vont peut-être un jour me pardonner…
Je m’étais surnommée Volesprit.
Mais personne ne se nomme durablement soi même.
Au final, je l’ai appris, on reste ce que l’on est, ce que l’on fait.
Parmi vous, je ferai humblement de mon mieux.
Parmi vous, je tacherai de ne jamais plus rien oublier.
Car maintenant que je m’en rappelle:

Je me nomme…Sibylle, et j’ai fauté.

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Re: Je me nomme

Message par volesprit »

Sur la page de fin, des inscriptions semblent se réveler avec le temps.
On y devine une longue suite de caractères, plus semblables à des traces laissées sur un sous main par une écriture appuyée.
Mais on peut lire au moins ce qui suit après ce curieux titre:


Les cachoteries de Volesprit

1 (trouvé par Avachi)---------------------------------------------

Note, capitales, mes singulières oRigines,
Suis bien leurs fOrmes sibylliNes,
FournissAnt chiffres à queue sAns tête.

Note aussi celles qui révèLent, intestines,
EnDroit où creuser terre affine
Qu’on atteInt quand on use de sa…

2(trouvé par ?)---------------------------------------------

Hop, hop, hop Hop !
Ecoute bien ces jolis sons,
Qui se fredonnent sur un drôle d’air.
Hop, hop, hop Hop !
Ils forment une divine chanson,
Comment pourrais-je être plus claire ?
Hop, hop, hop Hop !
D’accord, elle sent un peu l’poisson,
Elle te fait clopiner d’travers,
Hop, hop, hop Hop !
Après un brûlant vermillon,
Elle t’fait trotter sous deux grands vers…
Hop, hop, hop Hop !
Mais là où l’oratoire est bon,
Reposera mon obole en terre.
Hop, hop, hop Hop !
Ecoute les quatre jolis sons,
Qui te transportent en plein éther…

3(trouvé par Acktar)---------------------------------------------

Un lecteur impatient a cru être plus malin que les autres en passant son crayon sur le fin papier pour y révéler avant l’heure l’énigme suivante. Il a de ce fait endommagé et rendu illisible une partie du texte :

Il exisxx en ceXXx xxXXxx
Un bien xxrieux xxXxxx
X’est ex ce lxeu « Ignisfugé »
Qu’un xoli feu, j’ai aXXumé.
C’esx dos aux flexrs que je lisaix,
Facx à un livre aux paxes ambréxs.
Là, le butin ext entexré,
Mais sxra-t-il restitué ?

4---------------------------------------------

Pour résoudre cette énigme, il te faut Trois Grands Noms
Mis à l’Epreuve du Temps pour toute inspiration.

Au royaume...

Le texte semble se reveler au fur et à mesure...mais il n'est visiblement pas encore temps!

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