Page 1 sur 1

Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 11 janv. 2014, 15:53
par Gondebaud
Chapitre Ier - Un royaume nommé Burgondie


Haut dans le ciel, le soleil m'écrasait sous une armure de plomb. Je devais avoir quatorze ans, quinze pas plus. Ma présence dans cette vaste plaine, au milieu de quarante mille frères d'armes, s'expliquait par le rôle que jouait mon père dans la politique de notre royaume. Celui-ci était un prince de sang, lié de près à notre grand roi Godegisèle Ier. Il avait tant aidé ce Roi à vaincre ses nombreux ennemis, qu'il était désormais gratifié de l'autorité la plus honorable de notre État, celle de connétable. Connétable de Burgondie, ainsi fallait-il appeler mon père dorénavant. Voilà pourquoi je me retrouvais face à lui, en cette chaude matinée de juin, dans un silence de mort. Mes jambes me lançaient terriblement et c'est perclus de douleur que je dus m'agenouiller face à celui qui avait été mon géniteur avant de devenir mon chef. Il me fallait oublier tout l'engourdissement qui avait gagné mon membre inférieur de manière à pouvoir m'exécuter. D'autant que mon jeune âge rendait encore plus insupportable le poids de ma cuirasse. Je parvenais toutefois à m'incliner humblement comme le voulait la coutume. Le connétable se tourna vers moi, et dans un élan fracassant asséna un grand coup du plat de son épée sur ma frêle épaule. L'intensité du choc me repoussa dans mes derniers retranchements et c'est mordant mes lèvres que je devais feindre de ne rien ressentir. Je n'étais pourtant pas au bout de mes peines. Toujours debout face à moi, le connétable prononça ces mots que je n'oublierai jamais : « Gondebaud de Burgondie, par la grâce de notre Roi, je te fais chevalier. Puisse cet honneur te permettre de défendre la veuve et l'orphelin et de ne jamais oublier la devise de notre royaume : sois la fierté de ton père, la gloire de ta descendance, la terreur de ton ennemi ». Sur ces mots terribles, dont le connétable avait fait exprès d'insister sur « la fierté de ton père », l'homme, sans ôter ses gants de fer, me frappa au visage d'un terrible coup qui faillit me faire perdre l'équilibre. Enfin il m'aida à me relever face à tous mes camarades qui attendaient à leur tour leur adoubement. Je me souviens avoir ressenti comme un élan de fierté dans mon magnifique vêtement rutilent. Il brillait de mille éclats grâce aux rayons de cet astre somptueux qui ne parvenaient pas à pénétrer l'épaisseur de ma chaire artificielle. Désormais, et alors que l'épreuve de majorité venait d'être passée avec succès, il faudrait m'appeler Sire Gondebaud, chevalier de Burgondie. Je pouvais sentir par dessus ma nuque la jalousie intense de mes nombreux frères d'armes qui regardaient avec envie la somptueuse épée qui venait de m'être remise. Il faut dire que quand bien même le roi était absent de cette cérémonie sacerdotale, la maladie le gagnant chaque jour un peu plus aux dires des membres du palais, il régnait dans cette vaste plaine une atmosphère de gloire et de splendeur au centre de laquelle mon père semblait siéger en Auguste parfait. Il avait pourtant à peine trente-cinq ans. Mais pour comprendre l'importance d'une telle réunion, au delà des descriptions, il m'est nécessaire de présenter ce somptueux royaume qui par une pâle matinée d'automne m'a un jour mis au monde ainsi que tous mes ancêtres.

La Burgondie, vaste fief fait de vallées encaissées, de collines abruptes aux versants sempervirents ou encore de larges plateaux très fertiles, eux-mêmes traversés par de somptueux fleuves et autres cours d'eaux serpentés qui offraient aux paysages une impression de paradis. Au centre de ce havre impénétrable, Divionense Castrum, une puissante forteresse gardienne de notre pays. C'est là qu'au cours des temps les plus reculés notre puissant seigneur Hariulf avait choisi d'élire domicile suite à l'écrasante défaite qu'avaient subie nos aïeuls et qui les avaient contraint à l'exil vers ce qui deviendrait la Burgondie. Le souvenir de cette défaite, fondatrice de notre État, est aujourd'hui raconté de génération en génération par nos oracles qui rappellent aux plus jeunes comment « l'ignoble Fastida, roi des Gépides, massacra par surprise les Burgondes, brûlant leurs villages et tuant nombre de leurs enfants pour les pousser à partir ». Mais cette époque était loin, et rares étaient ceux qui regrettaient nos vieilles contrées tant la Burgondie, qui adopta notre nom, était devenue notre patrie naturelle. Divionense, donc, représentait le cœur de notre empire. Notre plus grande et belle cité, entourée de gigantesques remparts qui auraient fait pâlir n'importe quel envahisseur. Ce n'était pas du luxe, tant nous paraissions entourés d'ennemis avides d'argent, prompts à se ruer sur nos landes si fertiles. Divionense ouvrait chaque jour ses portes à des dizaines de marchands affluant du monde entier pour échanger leurs denrées contre quelques florins sonnants et trébuchants. Le commerce avait tant fait vivre la ville, qu'elle était devenue la plaque tournante de pas moins de six pays différents. Il faut dire que Divionense profitait de sa situation avantageuse, au croisement de deux fleuves si larges qu'une dizaine de gros navires pouvaient y circuler côte à côte sans jamais se toucher. Rapidement, les taxes des premiers seigneurs avaient permis d'y ériger un petit bourg, bientôt entouré de remparts en bois. Puis on préféra la pierre, plus robuste, tandis que le bourg ne cessait de s'agrandir, sur chaque rive des deux fleuves, pour devenir une cité. Tant et si bien que le jour vint où nos hauts remparts ne suffisaient plus. Il fallait construire une forteresse pour défendre ladite cité : Divionense Castrum. Notre puissant roi, Godegisèle Ier, fut le premier à y établir son palais, pour échapper au vacarme de la cité et profiter des vastes plaines alentour pour s'en aller chasser le cerf. Il était jeune alors, et vigoureux. On dit qu'une seule de ces parties de chasse endiablées suffisait à lui faire occire pas moins d'une trentaine de cerfs : de quoi nourrir toute sa cour. Car le roi ne prit jamais un seul repas sans être entouré de tous ses hôtes. Que de banquets ! Que de fêtes ! Il faut s'imaginer la bière couler à flots dans de vastes tonneaux – que nous préférions aux amphores pour le transport – pour venir arroser les plats les plus lourds du monde : poulardes, cerfs, jambonneaux, sangliers et autres viandes peu délicates mais si riches en goût, surtout grâce à notre fameux accompagnement, une sauce piquante de couleur jaune, comme le soleil, inventée dans nos contrées pour épicer n'importe quel plat. Nous en raffolions tous de cette sauce qui permettait d'atténuer le goût trop salé de nos viandes (le sel nous permettait, en grande quantité, de préserver nos aliments). Il n'y avait pas de repas sans musique, et pas de musique sans danse. Je me souviens de cette anecdote que se plaisait de répéter mon père mettant en scène un jongleur poète qui, enivré par ses récits, ne vit point sa barbe prendre feu à cause d'une bougie mal placée, et qui, s'embrasant littéralement, dut être jeté tout habillé dans les douves du château dans l'hystérie générale. C'était la belle époque aux dires de mon père.

A côté des festivités, il y avait aussi la guerre. Omniprésente dans l'esprit dans chaque Burgonde. Chaque printemps, au champ de mars, le roi en appelait en effet à tous ses vassaux pour lever l'ost et partir en campagne. Il s'agissait de faire trembler nos voisins de manière à les intimider et prévenir de toute invasion. A ce petit jeu, nous étions d'ailleurs les plus forts. J'ai moi-même participé à deux campagnes, à partir de l'âge de treize ans, avant d'être adoubé par mon père le connétable. Je puis donc les résumer assez aisément. Tout commençait avec la fleuraison des premiers arbres, qui suivait les hivers rigoureux de nos contrées, lorsque chaque village, chaque ville, chaque bourgade recevait des émissaires du roi à cheval. Ceux-ci, au son de l'oliphan, proclamaient haut et fort le début de la campagne et le devoir pour chaque communauté de fournir dix mâles âgés de treize à trente-cinq ans pour cent habitants. De mémoire, je ne me souviens pas qu'une seule communauté ait un jour refusé ce service d'ost. Les mâles en question devaient alors quitter leurs habitations, vêtu d'une armure fabriquée à leurs frais, pour rejoindre de petits camps où étaient réunis tous les glorieux soldats du roi. De fait, l'armée paraissait très hétéroclite. Les plus riches disposaient de leurs propres chevaux, d'armures étincelantes ainsi que d'archers incorporés à leur propre garde. Les plus pauvres n'avaient rien de plus qu'un capuchon de cuir et une simple fourche pour se défendre. Ce contraste, c'était aussi notre force. Il symbolisait en effet que quiconque, peu important ses richesses, devait savoir donner sa vie pour notre contrée et notre roi. Pour ma part, étant fils d'un des plus grands noms du royaume, je dois avouer que je faisais partie des hommes de guerre les mieux défendus. J'avais pour ma seule personne pas moins de quatre chevaux, dont deux de trait et un de course, cinq armures de fer et quelques quatre lances (sans compter les épées). N'étant toutefois pas encore chevalier, je ne pouvais alors posséder de gardes du corps ou d'archers, et c'est donc seul que je devais me battre. Ce système nous permettait de lever chaque printemps pas moins de cent cinquante mille hommes dont les plus valeureux, ceux qui s'étaient le mieux illustrés au combat, recevaient l'immense privilège de devenir chevaliers du roi. Vous comprenez désormais ma présence, au milieu de quarante mille Burgondes armés jusqu'aux dents, dans cette vaste plaine, agenouillé devant le connétable. Nous venions alors d'achever une courte campagne contre notre voisin oriental, conclue par une intense bataille qui avait vu nombre d'entre nous périr au champ d'honneur. Ce n'est pas tant mon courage ou ma distinction au cours de cette bataille qui m'avaient valu de devenir chevalier que la récente nomination de mon père à la fonction de connétable. Celui-ci disposait en effet désormais des pleins pouvoirs sur l'armée du royaume, renforcés par ailleurs par la longue maladie de notre roi qui le tenait éloignait de nos camps militaires. Si je n'avais pas encore pu prouver que je méritais cette haute distinction, j'étais toutefois prêt, au fond de mon cœur, au plus profond de mon âme, à montrer aux yeux de tous, qui me considéraient déjà comme un parvenu, qu'ils se trompaient lourdement et que je deviendrai un jour le meilleur combattant de toute la Burgondie. Il faut dire que j'avais pour cela les meilleurs appuis possibles : le connétable était mon père et le roi lui-même était son ami. Rien ne semblait pouvoir entraver à ma carrière.

Mais le roi, comme j'ai pu l'écrire, se mourrait. Lentement mais sûrement. Et pour la première fois dans notre histoire, il n'avait pas de fils, pas d'héritier direct prêt à lui succéder. Il n'avait pas même une fille susceptible d'assurer la régence du pouvoir une fois trépassé. La providence ne voulut lui donner qu'un frère, sombre et ambitieux. Celui-ci, que l'on appelait Pline, attendait impatiemment la mort de son propre frère pour coiffer enfin le diadème royal et devenir maître de la Burgondie. Je n'avais beau avoir que quatorze ou quinze ans, je pouvais dores et déjà sentir le vent de l'histoire tourner pour rejeter à la mer les heures les plus glorieuses de notre passé. Une triste époque s'ouvrait à nous, symbolisée je me rappelle par la multiplication des corbeaux dans le ciel qui tournoyaient de manière morbide au-dessus de Divionense Castrum comme pour annoncer : « Regardez quelle est notre prochaine victime. Voyez, impuissants, votre bon roi et vos plus belles heures offertes en sacrifice à la tablée des maîtres du mal ». Mon père craignait plus que quiconque la mort de celui qui l'avait toujours soutenu et qui l'avait placé parmi les plus hautes autorités du royaume. Il répétait souvent que Pline, victime d'une infirmité à la jambe gauche, jalousait sa gloire militaire et n'appréciait pas de le voir à la tête des armées. Il avait peur que le jour où il deviendrait roi, il se vengerait en demandant sa tête. Mais Pline était un personnage plus complexe qu'on ne voulait l'affirmer. Loin de vouloir tomber dans une description caricaturale qui ferait du roi Gondebaud un souverain sage et aimant et de son frère Pline un prince machiavélique et fourbe, il me faut rétablir la vérité. La vie n'avait pas été clémente avec le cadet des frères royaux, qui avait vu sa mère mourir en le mettant au monde et avait du subir un sentiment de culpabilité pendant toute son enfance vis à vis de son père. Élevé dans l'ombre de son frère héritier, Pline avait toujours conservé un sentiment d'amertume, amplifié par un malheureux accident de charrette qui lui fit perdre le bon usage de sa jambe gauche. Pline, qui aimait la guerre plus que toute autre chose, se retrouvait désormais incapable de mener une quelconque armée au combat. Il nourrissait en fait un sentiment de vengeance patent sur la vie et la justice qu'il avait toujours estimé comme ses ennemis. Sa première femme, Cunégonde de Mâcon, ne put lui rendre qu'un sourire éphémère, morte à son tour en couche avant de pouvoir mettre au monde son fils. Cunégonde, la seule personne que Pline ait véritablement aimé, était en fait partie trop tôt pour apaiser le caractère d'un homme devenu impatient, irascible et tourmenté.
La seule chance de Pline résidait en le fait que les années passant, et les épouses se succédant, le roi Godegisèle n'avait jamais pu procréer. Pline voyait chaque année se rapprocher un peu plus la couronne de son crâne, jusqu'au jour où on lui annonça que son frère entrait en agonie. Deux semaines de turpitudes extrêmes furent infligées à notre divin maître qui, affaibli par une blessure mal guérie, devait trépasser dans les pires douleurs. Quelques heures avant de mourir, mon père rendit une dernière visite à notre roi afin de le remercier de toutes les grâces que le monarque lui avait rendues. L'entretien ne dura que quelques minutes tant l'état de souffrance de Godegisèle l'empêchait de tenir un discours cohérent. Mais dans un dernier effort de lamentation, le roi parvint à glisser au connétable ces derniers mots : « Mon frère... est un homme tourmenté par les pires passions... Il... ne parviendra jamais à.... faire prospérer notre si beau... royaume. Je veux que tu... sois à ses côtés dans... chaque décision pour empêcher le... chaos... de s'emparer de notre pays. Jure le moi... Je t'en... prie ». C'est tout naturellement que mon père s'agenouilla face au monarque pour lui promettre, sur nos plus illustres ancêtres, de respecter cette volonté avant de laisser Godegisèle seul. Celui-ci, soulagé, pouvait partir tranquille. Et c'est tard dans la nuit, après avoir reçu les derniers rituels sacrés, que notre roi trépassa. La nouvelle fut apportée à mon père qui, tristement, susurra à l'un de ses fidèles gardes du corps : « Maintenant, l'enfer peut s'abattre sur nous. ».

Re: Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 16 janv. 2014, 11:37
par Gondebaud
Chapitre II – La mission

Le temps passa inexorablement sur la Burgondie. Je me rappelle avoir essayé à plusieurs reprises de saisir ce temps de mes mains sveltes de manière à le forcer à faire machine arrière, en élançant mes doigts vers les cieux inconstants. Mais chaque fois, je ne brassai que du vent et c'est déçu que je devais me faire à l'idée d'avancer dans une vie qui semblait avoir définitivement changé de cours. Suite à la triste mort de notre bon roi Godegisèle, la situation se déplora en effet chaque jour un peu plus. Un voile sombre d'une épaisseur infinie semblait s'être cloué au lendemain du trépas de Godegisèle sur Divionense Castrum où, pour moi, les oiseaux ne chanteraient jamais plus.

Devenu roi, Pline, offrit pourtant à chacun une illusion de continuité savamment orchestrée. C'est ainsi que fort hypocritement, il avait décrété un deuil de sept jours pour toute la Burgondie à l'égard de son frère dont il avait secrètement tant espéré la mort. Au soir de son couronnement, il prononça même quelques mots qui, succinctement, annonçaient sa fausse volonté de poursuivre la politique de son frère ainsi que ses dernières volontés. Mon père crut-il naïvement ces propos grossiers ? Pensait-il sincèrement pouvoir obtenir un rôle à jouer dans la politique burgonde aux côtés du roi Pline Ier ? Je n'en ai aucune idée. Toujours est-il qu'il fut l'un de ceux qui portèrent Pline sur son bouclier en s'écriant : « Longue vie au roi ! ». A quinze ans, j'assistai ébahi à cette démonstration de pouvoir en pensant que nos ennemis pourraient continuer à trembler. Comme le voulait la tradition, on porta le nouveau roi en triomphe sur son écu tout le long de la rue principale de Divionense depuis le temple des anciens, où Pline reçut l'épée de justice des rois burgondes ainsi que le paludamentum pourpre symbolisant son pouvoir universel, jusqu'au palais royal dans la forteresse où le roi siégerait désormais. Accompagnant ce glorieux cortège, la populace fut contrainte, toujours par la coutume, à jeter des feuilles de gui et de lauriers sur le passage de notre nouveau chef. Depuis ma position, je ne pouvais voir les fameuses stigmates qui enlaidissaient la jambe gauche du roi depuis son accident et qui m’obnubilaient. Beaucoup d'autres purent l'observer à cause de la robe courte que devait porter le roi burgonde en ce jour singulier. Le monarque finit par arriver en son palais où il put se reposer des nombreuses sollicitations de la foule. Mon père ne lui laissa que quelques minutes avant de lui demander un entretien. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'un géant garde du corps, haut de sept pieds, lui répondit que le roi refusait de le recevoir pour l'instant car il se sentait « fatigué ». Le connétable sentit son sang se glacer tandis qu'une peur intense s'emparait lentement de lui. Était-ce là le témoignage de la perfidie de Pline ? Serait-il écarté des cercles du pouvoir à cause de sa trop proche proximité vis à vis de l'ancien roi ? Il ne resterait pas longtemps sans le savoir.

En fait, une simple nuit suffit. Au petit lendemain, mon père fut tiré au saut du lit par une petite escorte de baroudeurs qui l'enjoignirent à les accompagner jusqu'au palais où l'attendait le roi Pline. Le connétable eut tout juste le temps de revêtir son armure – seul dans la mesure où ses pages n'étaient pas encore levés – et de mettre une deuxième paire de chaussettes en laine pour affronter le froid terrible qui s'abattait sur la Burgondie. Alerté par le vacarme des gardes du roi, je me levai à mon tour pour assister médusé à une scène qui ressemblait à l'arrestation de mon propre père. Celui-ci fut amené, clopin-clopant, à Divionense Castrum où le roi l'attendait de pied ferme. Je ne puis imaginer quelle stupeur, quelle indignation pouvait animer mon pauvre père, le tout puissant connétable du royaume, recevant ainsi des ordres de ceux qui hier encore étaient ses sous fifres. Toujours est-il qu'il s'exécuta pour ne pas aggraver son cas. Après tout, quand bien même le roi avait tous les droits, il ne pourrait se débarrasser impunément de son connétable sans soulever une colère générale si peu de temps après son couronnement. C'est donc avec le menton haut et le regard fier que le connétable fut reçu par le roi. Ce dernier était en train de se réchauffer au coin du feu de cheminée, tel un vieux chat malade qui se blottirait dans un confort sommaire. La pièce était sombre. Une pâle lueur provenait des derniers lambeaux d'une bougie qui n'allait pas tarder à s'éteindre tandis que les rideaux tirés sur les petites fenêtres empêchait le soleil levant de faire pénétrer ses premiers rayons dans le vaste bureau. Le roi ne prit point pas la peine de se retourner, fixant toujours ardemment le feu avec une sorte de passion déroutante, avant de lancer à mon père :

- "Connétable de Burgondie, je vous connais bien. Vous êtes un brave."

Mon père cacha sa surprise en dégainant un petit sourire qui ne trahissait toutefois pas complètement son mal être. Et le roi de reprendre :

- "Les oracles sont formels. L'hiver sera long, bien plus long que nous n'en avons jamais connu. Aussi me faut-il prendre les devants pour avancer la campagne de printemps et empêcher nos ennemis de nous attaquer les premiers.
- Mais, mon roi – riposta t-il – les hommes ne sont pas prêts. Il faudrait des semaines pour lever l'ost.
- Je sais – interrompit fermement le souverain – Je sais. Aussi, ce n'est point d'une opération d'envergure dont je parle. Vous, et vos plus fidèles gardes du corps, seulement seraient concernés. Le roi Chlodowig, et sa horde de païens, est chaque jour un peu plus puissant au nord. Bientôt, il se ruera sur la Burgondie à la tête de milliers d'hommes, et nous serons vaincus.
- Oui. Tout le monde sait comment il a écrasé Syagirus pour devenir maître de tout le nord. Mais que voulez-vous que je fasse avec ma quelque quarantaine d'hommes ?
- Vous prendrez la mer en direction de la péninsule ligurienne où Théodoric règne en maître. Il est de même confession que moi, et ne rechignera pas à s'allier pour repousser un païen devenu trop puissant. Je veux que vous vous assuriez de son alliance.
- N'avons nous pas des diplomates pour cela ? Rétorqua le connétable.
- J'ai confiance en vous pour mener à bien cette mission. C'est un ordre. Trois navires mettront les voiles demain, au petit matin, et vous serez de l'équipage.
- Fort bien mon roi."

Le connétable quitta la pièce, plein d'incertitude. Quelle étrange mission venait de lui confier là son nouveau roi... Un travail d'ambassadeur, mais aucunement de connétable. Que pouvait bien mijoter Pline pour avoir besoin que ce soit son connétable, absolument, qui aille au près d'un roi aussi puissant que Théodoric ?

Il rentra chez lui, déjà rassuré de ne pas avoir exécuté sommairement dans un champ comme il aurait pu le penser quelques heures plus tôt. Mais il fallut maintenant qu'il annonce à sa femme, la douce Clotilde, qu'il lui fallait partir pour plusieurs mois. Car la route pour la Ligurie était très longue, et les mers n'étaient jamais sûres. En plein hiver, elles étaient même théoriquement fermées aux navires de guerres. Mais les pirates, eux, rôdaient constamment. Bien périlleuse mission que ce voyage. Le connétable rassembla ses plus beaux attributs : pourpoints écarlates brodés d'or, bijoux d'apparats aux larges pierres brillantes, bottes dorées, feutres ornés de magnifiques plumas, mais aussi dagues, glaives et épées, écus et boucliers, pour se défendre ou impressionner le roi en lui montrant les meilleurs objets sortis tout droit des forges burgondes. Après avoir passé une dernière au près de ma mère, sans dormir, il se leva au chant du coq pour partir dans un silence morbide. Il ne me salua que du coin dans l’œil sans même se retourner complètement. Pudeur burgonde. Pour ma mère, pas un mot de plus. Peut-être pensait-il pouvoir revenir avant l'été. Je ne le sais point. Il prit la route du port au milieu de ses hommes qui chantaient déjà pour se donner du courage. Le groupe disparut sous la ligne de l'horizon qui, au loin, faisait dores et déjà pointer les premiers rayons blafards d'un soleil timide et paresseux. Moi, je retournai à mon propre lit de paille en essayant de me vider la tête, en me convainquant qu'on le reverrait vite. Que ferait l'armée sans son connétable après tout ?

C'est trois mois plus tard, seulement, qu'une escorte royale, formée d'une quelque douzaine d'hommes magnifiquement vêtus, vint jusqu'à chez nous pour nous annoncer que le connétable avait perdu la vie suite à une attaque de pirates en mer. Tous ses hommes étaient morts avec lui. Ses mots ne signifiaient qu'une chose : moi et ma mère, nous n'étions alors plus rien.

Re: Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 02 févr. 2014, 20:06
par Gondebaud
Chapitre III - La colère orpheline

La pluie perlait de ses larmes froides comme pour meurtrir mon corps d'une mélancolie inexpugnable. Ne faisant toutefois plus attention à elle, je continuai de faucher les blés avec acharnement. C'est qu'il nous faudrait beaucoup de céréales pour survivre à un hiver qui s'annonçait des plus rigoureux. Le précédent avait déjà tué ma mère, il ne fallait pas que celui-ci ait raison de ma vie. Cela faisait désormais dix ans qu'on nous avait annoncé la mort de mon père. Depuis, rien n'avait plus freiné notre descente aux enfers. Ruinée, ma pauvre mère n'eut d'autre choix que de vendre la demeure familiale pour nous faire déménager dans une sombre bâtisse perdue dans les affres des quartiers miséreux de Divionense. Nous y restâmes trois ans, sans doute les plus tristes de ma vie. Dès les premiers mois, la chancellerie du roi Pline nous fit comprendre qu'à cause de la mort accidentelle du connétable et de l'impossible recouvrement de son corps, notre famille ne pouvait recevoir ni douaire ni pension. Un an plus tard, une missive nous informait qu'à cause de la pauvreté de notre famille, qui nous contraignait à travailler, nous dérogions à la noblesse. Moi, Gondebaud de Burgondie, perdait par la même mon titre de chevalier si fièrement obtenu. Plusieurs semaines après cela, ce fut ma plus jeune sœur qui décédait à cause de notre mauvaise alimentation. Nous vivions désormais dans un tel état de précarité qu'il ne fut à cette époque pas rare de voir ma mère déambuler des heures dans les ruelles étroites de Divionense pour faire la manche et revenir dans notre piaule avec quelques deniers. Moi, j'allais récolter le bois toute la journée dans le bois alentour pour le revendre contre de la nourriture. Le labeur était si ingrat qu'au soir, nous n'avions même plus notre propre bois pour chauffer la demeure. Après encore un an, la situation était devenue invivable et de nouveau nous étions contraints à l'exil. Ayant vendu notre petite chambrée citadine, moi et ma mère étions désormais susceptibles d'acheter un maigre lopin de terre vers les champs peu fertiles d'Avicorum. Je devais avoir dix-huit ans.

Je vécus ce nouveau déménagement comme une fuite éhontée. Pour la première fois de ma vie, je connaissais l'échec avilissant, l'aveu de faiblesse terrible. Je reprochais chaque jour à mon père de nous avoir abandonné pour une mission futile, de nous avoir plongé dans la misère à cause de ses erreurs. Ces nouvelles terres qui allaient être les miennes semblaient me recevoir dans un mépris flagrant. Mais je n'avais pas le temps de rechigner. A peine installé fallait-il travailler une terre ingrate, d'arrache-pied, de l'aube à l'aurore. Nous vivions toujours mieux qu'à la ville, mais rien ne m'empêchait de penser que nous ne méritions pas ça. Mon père m'avait élevé dans la gloire de la chevalerie burgonde, dans le souci du combat noble loin de la roture paysanne. Ores, je me retrouvai moi même parmi les gueux de la terre jusqu'aux genoux. Autour de nous, je pouvais même voir des agriculteurs bien plus riches, capables d'alimenter du gros bétail et de labourer la terre avec de magnifiques engins dont le nom m'était jusque lors inconnu. Je nourrissais chaque jour ma vengeance et ma rancune sur une vie qui avait tout fait pour me rejeter. L'amertume, la colère orpheline, c'était ce qui faisait alors battre mon cœur.

Un soir, quelques années plus tard, alors que je rentrai de ce champ maculé de boue, je ne pus que voir, impuissant, ma mère s'écrouler de tout son long dans la grange. Une terrible fièvre l'avait gagné à cause de l'hiver qui pourrissait littéralement notre existence. Je la couchai méticuleusement sans savoir trop quoi faire. C'est qu'à vingt quatre ans, on ne connaît rien de toutes ces choses appelées remèdes, et qu'on peut encore moins se payer les services d'un apothicaire. Il lui fallait du repos, toujours plus de repos. Et moi, je me retrouvai seul, à travailler la terre et à veiller sur elle. J'avais bon espoir qu'elle guérisse à cause des rayons de soleil qui perçaient les nuages pour réchauffer un air devenu nauséabond. Mais comme souvent à cette époque, espérance était sœur de trahison. Ma mère mourut dans son sommeil à la lueur d'une bougie incandescente. Elle était partie dans un silence impénétrable, libérée de l'infortune d'une vie malheureuse. Le matin où je l'ai retrouvée, gisant sans vie le corps inerte pareil à une pâle tapisserie n'attendant plus qu'à être décrochée, je n'ai pas pleuré. Je n'avais plus suffisamment de larmes en moi pour exprimer ma douleur pourtant vive. Mais en voyant son pathétique cadavre froid, je me fis une promesse qui résonne encore en moi à l'heure où j'écris ces lignes : Je ne mourrai pas ici.

Re: Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 11 févr. 2014, 18:37
par Gondebaud
Chapitre IV - Monsieur Jehan

Jamais mélancolie n'avait plus imprégné le temps de son empreinte glaciale. Les heures filaient comme des journées, les jours comme des années... Je n'avais pourtant jamais le temps de m'ennuyer ; Morne routine ! Ne pouvant désormais plus compter que sur ma seule force, je reprenais la terre à mon propre compte. Mais celle-ci me rejetait chaque jour, tel le nourrisson refusant le sein maternel. Pile an après la mort de ma chère mère, comme pour affliger encore d'avantage le morbide anniversaire, une terrible pluie s'abattait sur la Burgondie pendant près de quatre semaines. Avec elle, le vent, en allié mesquin, emportait tout sur son passage : frêles bâtisses, enclos, greniers, pieds de terre etc... Tant et si bien que le printemps pointant le bout de son nez, je me retrouvai une fois de plus sans un sou et le ventre creux. Chaque matin, je traînai ma maigre carcasse parmi les champs et les vergers dans l'espoir de glaner ça et là quelques pousses de blé voire d'orge. Chaque soir je rentrai bredouille et grise mine dans cette triste demeure qui était mienne. La seule différence, pathétique, c'était l'épaisse boue jaunâtre qui collait, robuste, à mes bottes trouées. A cette époque, tout aurait pu me pousser à dépérir dans une froide agonie. Tout, certes, sauf ma foi et ma rage implacable de revanche sur la vie. Les épreuves avaient rogné les griffes jadis acérées du rapace tout en aiguisant les crocs jusque lors inoffensifs du fauve qui sommeillait. La patience sournoise avait supplanté l'ambition acide qui animait mon corps dans mes plus jeunes années. Bientôt, certains évoqueraient le Tégénaire, d'autres parleraient de la Couleuvre, mais tous s'accorderaient sur un point : Gondebaud de Burgondie avait changé. Il était même méconnaissable.
Mais nous n'y étions point encore. Affaibli comme jamais, je sortis du plus pénible hiver de ma vie. Dans cet enfer diluvien, la prière avait été mon seul havre. Tous les soirs, à genoux, je priai les cieux de me permettre de survivre à la disette et de me rendre ma force d'antan. Non pas pour vivre, mais pour me venger. Fus-je entendu par delà les cieux ? L'été revint, et, pareil à un Auguste triomphant, chassa nuages et trombes. J'allais vivre. Regardant une dernière fois le soleil avec mon innocence d'enfant, je me sentais enfin capable de me saisir de ses rayons pour sublimer mon ire.
Jour après jour, je reprenais du poil de la bête. Le labeur au champ commençait même à porter ses fruits. Le crédit que l'on m'accorda, à cause du courage montré par si un jeune homme, me permettait désormais de travailler l'exploitation aidé de solides alliés. Fréquemment, nous nous réunissions pour nous secourir l'un l'autre en cas de besoin. Sitôt que l'un de nous sentait le désespoir le gagner ou la force le quitter, un frère, un ami ou un parfait étranger débarquait chez lui pour travailler sa terre. J'ai vu un vieil agriculteur sauvé de la mort par le labeur d'un adolescent qu'il n'avait jamais vu. C'était bien plus que de la solidarité, c'était une conscience paysanne. Que de belles heures, bâties sur le socle de cette fraternité paysanne que je méprisais avec ardeur jusque lors. Cet été là finissait en fait de me transformer en profondeur. Tous mes préjugés de naguère, toute mon intolérance hautaine, forgée par mon éducation, servie par mon adolescence, disparaissait en quelques mois. Je fixais, médusé, la beauté humaine dans ce qu'elle a de plus grand. Je tronquais mes vieilles œillères pour reposer mes yeux sur la magnificence humaine.

Un soir, alors que nous vidions nos échoppes chez Monsieur Jehan, le doyen de nos pairs, de manière à nous réconforter après une dure journée, vint une idée saugrenue à notre hôte. Monsieur Jehan, comme on se plaisait à l'appeler à cause de son côté bon père chaleureux, était un homme aimé de tous. Il n'avait pas hésité, à la vieille époque, à s'ériger contre le palais du bon roi Godegisèle, que je servais peut-être alors, pour soutenir les intérêts de ses amis paysans. Sa barbe blanche, soigneusement taillée au col, et ses vermeilles joues bien gonflées lui conféraient de prime abord un côté sympathique indéniable. En le regardant, on croyait voir un grand-père débonnaire. Mais il ne fallait pas s'y tromper. Derrière son côté bonhomme, Monsieur Jehan cachait un caractère bien trempé et une autorité charismatique inhérente à son caractère de patriarche. Ce soir là donc, achevant de faire balancer pour une centième fois son siège placé au coin du feu, Monsieur Jehan, prit la parole.
« Si nous voulons que le palais cesse de nous pressurer, il nous faut nous élever en communauté paysanne. C'est le seul moyen pour nous de défendre nos droits et privilèges ».

Un silence de mort s'était emparé de la salle. A ma droite, seul Raoul éclatait de rire, complètement ivre, avant de replonger dans son sommeil en frappant violemment son crâne sur la table. Nous autres, n'osions trop réagir. Nous savions pertinemment ce qu'impliquait une telle proposition : un rapport de force avec le roi et sa milice dont je ne connaissais que trop bien la puissance. Et Monsieur Jehan de reprendre :

« Allons, ne faites pas vos timorés comme pucelles au printemps. Cet hiver a failli nous tuer parce que nous n'avions pas la force nécessaire, délaissés par le Palais. ».

Dans mon coin, je me pris à rêvasser. Les mots de Monsieur Jehan avaient eu le mérite de me remémorer les épisodes les plus sombres de ma jeunesse. Mon père, accourant au chevet du roi Pline pour périr en mer. Ma mère, abandonnée dans sa souffrance et morte seule au monde. L'hiver qui avait échoué à prendre mon corps sans que le Palais ne bouge le petit doigt. Je pouvais sentir mon sang se glacer dans mes veines. Je n'avais même pas remarqué la choppe de bière qui était tombée de ma main. Sans même comprendre ce qu'il m'arrivait, je criai sans confession :

« Au palais ! ».

Ma réflexion provoqua une hilarité générale. Contraint par la force des choses à sortir de mes songeries, je restai planté au milieu de la pièce sentant le poids écrasant des regards combinés de mes congénères se fixer sur mes épaules. Jacques, le plus petit d'entre nous, se moqua sur un ton ribaud :

« Oui ! Vive la révolution ! ».

Suite à cette remarque, tout le monde se plut à rire. Et Monsieur Jehan de reprendre :

« Plus sérieusement. Faisons remonter nos droits au Palais, dans le calme et la bonne conscience. Cela nous facilitera la vie. ».

Rapidement, l'idée germait dans nos esprits. Après tout, nous étions suffisamment nombreux pour requérir à ce droit. Chacun semblait séduit par le concept qui avait le don, non négligeable, de nous mettre à l'abri. Tous ici présents, nous avions vécu l'hiver avec terreur. Beaucoup avaient failli périr. D'autres avaient vu certains de leurs proches ensevelis sous la terre. Mais quelque part, les difficultés nous avaient renforcés. Quant aux détails, mes amis convinrent qu'il me reviendrait la mission de rédiger nos doléances pour les porter au palais. Monsieur Jehan, qui apparaissait comme notre figure dirigeante, savait pertinemment que j'étais le seul doté de l'art de l'écriture. Mais tous ignoraient pourquoi je savais lire. Je n'avais jamais évoqué mon enfance et mon éducation au sein de la noblesse. Cela m'aurait sûrement attiré quelques animosités parmi mes nouveaux amis. Aussi me contentai-je d'accepter ce rôle de scribe avec une certaine neutralité, toujours chamboulé par ces pensées qui me hantaient. La soirée, elle, s'achevait dans la fatigue générale. Nous nous apprêtions tous à repartir chez nous lorsque Monsieur Jehan me prit à partie. Enjoignant nos amis à partir, il m'interdit d'en faire de même en me barrant la route de son large bras tendu. Nous étions désormais seuls chez lui.

« Au Palais hein ? », me lança-t-il froidement.

J'étais perdu. Je ne savais trop comment réagir. J'avais peur d'avoir été démasqué dans mes intentions d'attenter à la politique royale. Les mots ne me venant pas, je feignis de perdre mon latin. Mais Monsieur Jehan renchérit :

« J'ai bien vu que tu ne rigolais pas comme les autres. Et puis cette choppe brisée... Tu es tourmenté mon garçon. Et si... différent... Tu vas tout me dire. Car je ne veux pas de brebis galeuse au sein de notre communauté. ».

Alors, pour la dernière fois de ma vie, je perdis mon sang froid. Mon cœur, après s'être emballé pendant de très longues secondes, avait fini par me lâcher. Et moi même, j'avais fini par tout lâcher. Mon enfance, mon titre de chevalier, mon père connétable de Burgondie qui avait probablement affronté Monsieur Jehan, sa disparition, le déshonneur, la vie de bohème et même la misère. J'ai déversé toute ma haine sur les épaules réconfortantes de Monsieur Jehan. J'ai même pleuré. Là aussi, pour la dernière fois de ma vie.

« Je... Je... n'avais jamais parlé de ça à personne. Pardonnez-moi Monsieur Jehan ».

Le vieil homme me contemplait avec son regard neutre, presque avide. Passant ses doigts dans sa moustache hirsute, il sourit avant de s'exprimer.

« L'homme qui a tout eu, pour se voir tout reprendre, sera toujours à même de susciter de plus vives passions que celui qui n'a jamais rien eu. Si tu veux vivre, et vivre sans excès, oublie jusqu'à la plus petite pièce que la vie t'a reprise. Alors, et alors seulement tu connaîtras le seul accès au bonheur : le renoncement. »

Re: Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 22 févr. 2014, 14:40
par Gondebaud
Chapitre V – L'affront

La plume tremblait, incertaine. Pareille à un mulet récalcitrant, elle semblait refuser de coucher sur le parchemin des mots qui ne me venaient pas. Ce n'était pas faute d'essayer : « Trés lorieux et soverain roy ». Inconsciemment j'avais oublié le « g » de « glorieux », peut-être pensais-je à « Très laborieux et souverain roi ». Je me rattrapais maladroitement en glissant la lettre manquante qui semblait désormais pantelante. Je reprenais, au grès d'une inspiration toute aussi absente que cette lettre G :

Image

La missive était courte et concise, claire comme de l'eau de roche. Par orgueil, je n'étais pas adonné aux habituelles flagorneries envers un roi que je méprisai au plus haut point le tenant comme responsable de la mort de mon père. Je pensais toutefois, en signant de mon nom, et en rappelant le nom de ce père qui m'avait abandonné, que le roi se remémorerait ma famille ayant dérogé à la noblesse et qu'il se montrasse plus clément à l'égard de notre demande. De toutes façons, aucun acte légal ne pouvait se conclure sans une signature ou le sceau familial. Ce sceau d'ailleurs, témoignait un lignage hors-du-commun : de source sûre, il était utilisé tel quel six générations avant mon père. Fait de bronze, métal noble, il représentait un chevalier en arme terrassant un lion, également devise de notre famille : « A cœur de lion, gloire ne faillit ». Si j'avais su, ce jour là, que ce serait la dernière fois que j'utiliserai ce sceau, j'aurais probablement fondu en larmes. Il avait résisté aux guerres, à notre dérogeance, à l'exil, à la pauvreté... Il ne me survivrait pourtant guère.
Il fallait donc que j'aille porter cette missive au palais de Divionense Castrum. N'ayant bien évidemment plus vu un seul cheval depuis des années, je décidai de faire la route sur mes frêles jambes qui avaient bien maigri. Partant de bon matin, six deniers en poche en tout et pour tout, je parcourus ce magnifique pays qui avait été le mien jadis. Celui-ci, après le terrible hiver, commençait à retrouver de sa superbe. Les bourgeons entamaient leur timide éclosion tournant allègrement leur tête vers un soleil joueur tandis qu'allongeant leurs minces bras vers les cieux, les chênes redoraient leur pelage d'un feuillage reconquis. L'air sentait bon et frais. Depuis les fleuves, un vent léger emportait avec lui les plus douces effluves printanières de terre retournée et de fleurs éclosant. Je redécouvrais ces landes si magnifiques avec l'innocence retrouvée d'un enfant hagard. Toutefois, plus je marchai vers la capitale, plus mon cœur se nouait. Au loin, les murailles du castel sortaient, droites, du sol pour se dresser dans un orgueil splendide. Moi, j'avais honte. Honte de franchir les barrières de l'octroi dans mon plus humble appareil. A jamais, j'avais tronqué ma robe pourpre pour ce pitoyable gilet de laine, troué à chaque extrémité. Personne ne me reconnaîtrait dans ce pâle accoutrement, et c'était probablement mieux ainsi. Je préférai encore que l'on me prenne pour un manant plutôt que l'on se remémore la déchéance de ma noble famille.
Rasant les mûrs, je pénétrai la cité l'âme meurtrie. Je n'osai lever les yeux pour affronter le regard de passants hautains. Très rapidement, je parvins jusqu'à la porte du palais royal qui n'avait en rien changé. La même impression morbide qu'autrefois m'envahit en scrutant la tour de pierre surplombant une petite motte bien gardée. A un des miliciens, je donnai ma missive en lui rappelant les plus grandes précautions. Il fallait que la lettre aille jusqu'au roi. Il en allait de notre survie. Puis, je repris le chemin inverse pour rentrer dans ma campagne.

Mais, avant de quitter la capitale, je désirai en faire un dernier tour. Je savais pertinemment que je n'y reviendrai pas de si tôt et je voulais profiter de la vue pour me remémorer mes plus belles années avec nostalgie. La honte, peu à peu, avait fini par glisser sur moi comme sur les plûmes d'un canard. C'est cependant avec discrétion que j'empruntai les plus petites ruelles pour ne pas attirer l'attention sur moi. Après tout, il était toujours possible qu'un ancien frère d'arme me reconnaisse et décide de m'alpaguer.
Le soleil gouvernait encore très haut dans le ciel. J'avais du temps. Je marchais. Touchant les murs effrités de ma main malade, je me prenais à réfléchir au passé que j’embellissais très certainement. Je me revoyais, enfant, gambadant derrière les parents pour entrer à l'église où un banc nous était réservé. Je souriais en repensant aux insultes qui fusaient depuis la rue à cause des trop nombreux embouteillages causés par les charrettes arrêtées sur les pavés. Une curiosité malsaine me poussa même à aller visiter notre ancienne demeure. Je revis, de loin, la cour familiale où père m'avait formé aux premières armes. De même, je repensai à ma mère revenant de la fontaine, cruche à la main, pour remplir l'abreuvoir du cheval paternel. C'était le bonheur. C'était loin maintenant. En voulant m'approcher un peu, je remarquai la lueur d'une fine bougie qui éclairait l'intérieur de la maison à travers la fenêtre. Il y avait donc toujours de la vie chez moi. Tant mieux. L'heure avait défilé, je devais désormais rentrer. Tournant le dos une dernière fois à ce qui avait été ma mansarde, j'entendis tout à coup un hurlement. Je me retournai pour voir une pauvre femme jetée avec force hors de la maison :

« Et que je ne t'y reprenne plus, chapardeuse ! Ou j'appelle le prévôt ! ».

Qu'avait donc fait cette femelle pour être exclue avec tant de vigueur de mon ancienne maison ? Poussée dehors, celle-ci avait trébuché dans les petites marches qui gardaient notre porte pour tomber à la renverse dans une charrette de fumier. Je me portai rapidement à son secours en balbutiant quelques mots incompréhensibles.

« Eh beh. Tu tombes du ciel, toi ! » Me lança-t-elle en souriant.

« Que s'est-il passé là dedans ? »

« Rien d'intéressant. Ces gens là refusent de partager leurs restes. Ils préfèrent nourrir les cochons avec. Je crois qu'ils voudront plus de moi comme servante maintenant. »


Cette femme avait du caractère. En se relevant, elle me scruta quelques instants. Je ne pus remarquer qu'avec timidité la grâce qui se dégageait de son visage. Vêtue comme une pauvresse, des cheveux blonds désordonnés de la racine aux épaules, les joues noircies par la saleté, elle m'inspirait paradoxalement un sentiment de grande distinction. Ses yeux étaient ceux d'une princesse ostrogoth. Avait-elle, comme moi, dérogé à la noblesse ? Je fixai son regard qui m'envoûtait dans un océan tumultueux. Composé de deux magnifiques billes bleutées, il dégageait une certaine pitié. J'avais comme une envie, déplacée, de la prendre dans mes bras pour la réconforter. Puis j'observai sa bouche. On aurait dit un petit animal tout rebondi, rose et doux se blottissant au coin d'un feu de pailles. Un menton arrondi supportait le somptueux édifice.

« Comment qu'il s'appelle le sauveur? » Me demanda t-elle avec ironie.
« Gondebaud. Et vous ? »
« Je sais pas. Je l'ai jamais su. Mais tout le monde m'appelle Tristan parce que je ressemble à la mort il paraît. Et puis dis moi Tu, je suis pas un de ces nobles en robe moi ».
« Tristan ? Mais c'est un prénom d'homme ça » Je riai malgré moi.
« Les marginaux ne sont ni des hommes ni de femmes. Ils sont... des marginaux ».
« Eh bien moi je trouve que tu ne ressembles ni à un homme, ni à la mort. Je t'appellerai Iseult en référence à ton faux nom. »


La belle ne semblait pas comprendre la plaisanterie. J'aurais du me douter qu'une vagabonde ne pouvait connaître ses classiques. Elle se contenta de me répondre, toujours en riant :

« C'est marrant ça Iseult. On dirait un nom de serpent. Va pour Iseult ! »

« Et tu vis où, Iseult ? » insistai-je sur le prénom.

« Là où le vent me pousse. Ou plutôt là ou y'a à manger. Mais là, ça va se compliquer si même le maître veut plus de moi chez lui ».

Je ne sais ce qui me prit. Une témérité folle. Un sursaut de folie, toujours est-il que je répliquai :

« Bah ce soir, il y aura à manger chez moi. Si tu fais la route, tu pourras t'y reposer, mais c'est loin. »

Contrairement à ce à quoi je m'attendais, la femme ne fut pas surprise. Elle refusa dans un premier temps, bien sûr par politesse (bien que la politesse était particulière chez une femme qui crachait par terre), avant d'accepter de se fier à un parfait inconnu. Nous prîmes alors la route ensemble en prenant soin de retrouver ma bâtisse avant la tombée de la nuit.

Re: Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 07 mai 2014, 18:42
par Gondebaud
Chapitre VI – Printemps

Trois saisons s'étaient succédé sur nos menues terres et Iseult, qui ne devait rester qu'une nuit, ne les quitterait jamais plus. N'allez pourtant pas croire que c'est par un quelconque amour tombé de nul part que cette nécessité s'imposa par elle-même. Bien au contraire. La première nuit passée à la ferme aurait bien pu virer au drame. Satisfait d'avoir su convaincre la jolie blonde de passer la nuit chez moi, j'allais m'effondrer dans la grange pour me reposer après une longue journée de marche en lui laissant naturellement ma couchette de paille. Quelle ne fut ma surprise d'être réveillé en pleine nuit par la sensation désagréable d'une froide lame menaçant ma gorge. La belle était sortie de ses gonds, et voilà qu'elle s'était mis en tête de me dérober je ne sais quel bien. Ses réflexes de prédatrice endiablée avaient, cette nuit là, eu raison de la confiance que je lui affligeai. Mais qui étais-je pour lui jeter la pierre ? N'avais-je pas, jadis, renoncé à être moi pour manger ? Car il faut être soi pour vivre et bien vivre, mais devenir un autre pour survivre. Cela, je l'avais appris à mes dépens, au cri roque de l’infamie qui déchirait les cieux pour me pointer dans ma plus sordide nudité. Je ne jugerai donc pas Iseult. Ce soir là, je me contenterai de l'ignorer. Je n'étais pas non plus doué pour faire la morale. Le lendemain, elle ne fut d'ailleurs guère gênée de rester.

« Je paierai tout que ce que je mange que je le jure », lança-t-elle avant de cracher par terre.
« Et comment ? » rétorquai-je, amusé.
« Doit y avoir des bonnes poires qu'ont plus d'un sou à perdre par ces terres. Vont trouver à qui parler. ».

Le lendemain, elle attaquait Monsieur Jehan, poignard à la main en exigeant sa bourse. Ce dernier, pris au dépourvu, fut contraint de céder avant de venir me trouver, paniqué pour réclamer l'exil de la brebis galeuse. Coincé entre ma fidélité à ce chef débonnaire et mon attirance mystique pour la fougueuse demoiselle, je décidai de virer la blonde manu militari, à contre-cœur. Mon heaume ne serait pas de trop face aux réactions imprévisibles de la tigresse.
La fille, qui connaissait sans doute mes intentions après m'avoir vu discuter amicalement avec Monsieur Jehan, n'avait cependant aucune intention de céder à mes exigences. C'est ainsi qu'après trois jours au front, elle dévoila enfin la féminité qui sommeillait en elle pour se réveiller au gré de ses besoins. Regard de biche, menton retroussé dans une nuque cachée, elle simula, fort bien je dois l'admettre, des regrets imaginaires.

« C'est que, tu comprends, l'était plutôt gras le monsieur. J'ai cru que y'était riche. Honte sur moi. Dieu me pardonne. Je recommencerai plus ».

Elle regardait piteusement ses pieds en tortillant son tablier comme pour montrer sa peine. Il n'en fallait pas plus pour faire fondre le cœur d'un trop jeune chevalier orphelin. Parti pour congédier mon hôte, voilà que, pour cette nuit, nous ne devînmes qu'un. Charnelle capitulation après trois jours de lutte. Celle-ci avait un goût de cendre avant de se coucher sur un drap de volupté. Jamais tension ne fut plus forte sur aucun champ de bataille. Après les prières sempiternelles, l'ordalie s'achevait sur une mêlée d'harmonie. Un râle aux couleurs d'hallali. Voilà que l'adversaire se jette sur mon corps défait. Cette nuit, je ne suis plus un chevalier. Je ne suis plus un enfant. Cette nuit, je ne suis plus.

Naturellement, il faudrait du temps à Monsieur Jehan pour se faire à l'idée. Je crois qu'il ne prit conscience de l'importance d'Iseult que lorsqu'il prononça nos épousailles, quelques mois plus tard. Puis ils devinrent proches. Peut-être même amis. C'était le temps de l'insouciance, le printemps qui tuait l'hiver à grands coups de floraisons et de chants merveilleux. Iseult avait d'ailleurs beaucoup changé. Son tempérament s'était adouci.
Alors c'était donc ça le bonheur. Un petit air de rien qui transforme tout. Un vent qui retourne le cœur meurtri d'un orphelin condamné à l'exode nommé rage pour le lancer sur le chemin de la félicité. Au bout de ce chemin, Iseult avait un cadeau pour moi. Son ventre arrondi trompait la surprise. J'allais devenir père.

Re: Chroniques d'un aventurier lambda

Publié : 18 mai 2014, 15:38
par Gondebaud
Chapitre VII – L'héritier

« A cœur de lion, gloire ne faillit. », « L'épée est au corps ce que la piété est à l'âme », « Servir pour mourir », « Aime ta famille, défends ton rang, protège ton maître et sers ton Dieu ». Autant de devises qui avaient fait ma famille. Autant de proverbes que ma famille avait fait. Voilà maintenant qu'à vingt-cinq ans, j'allais devoir apprendre ces mots vides de sens à ma progéniture. « Défends ton rang », si seulement j'avais su quel était désormais mon rang... Né de sang noble mais labourant la terre, chevalier du roi combattant des envahisseurs à quatre pattes. Qui étais-je ? Et qu'allais-je transmettre à celui qui allait devenir mon « héritier ? » ? Trop de questions sans réponse.

Les beaux jours poursuivaient leur règne sur les campagnes verdoyantes de Burgondie et pour la première fois depuis longtemps, nous mangions à notre faim. Chaque semaine qui passait perfectionnait ma dextérité et surtout ma patience. Nous étions heureux et vivions légèrement, derrière maître Jehan. Le jour, nous travaillions ensemble la terre de chacun. La nuit,, nous nous reposions autour d'échoppes pleines. Même la vinasse rougeâtre de nos exploitations avait un goût de vie. Nous étions heureux et le bonheur, si il laisse tout aux souvenirs, est un Dieu capricieux. Il se laisse saisir pour mieux s'enfuir. Courez mortels, courez. Vous ne l'attraperez jamais.
Maître Jehan, du haut de ses cinquante années passées, restait le plus vigoureux d'entre nous. Notre doyen travaillait toute la journée sans jamais rechigner. Pire encore, il trouvait le temps de nous prodiguer ses enseignements ; sur l'art de la récolte d'une part, sur celui de la vie d'autre part. Tant d'heures passées dans son ombre réconfortante qui m'enveloppait pareille à un cocon de soie ! J'apprenais tous les jours un peu plus à me forger une conviction. Tout en fauchant les blés, maître Jehan ne pouvait s'empêcher de parler. De tout et de rien. De mon mariage et de son adolescence.
« Ca pour sûr qu'elle est belle la Iseult. Et douce comme un marteau. »
« Du temps du roi Godegisèle, les choses étaient différentes. Y'avait la guerre partout et tout le temps. C'te fléau. »
« Crois-moi Gondebaud, ils vont nous l'accorder ce droit qu'on réclame ».
« Tu dois être fort dans ta tête avant d'être fort dans les bras. Renonce Gondebaud. Renonce ».

Le renoncement. Un des mots qui revenaient le plus souvent à bouche de Monsieur Jehan. A force, je n'y prêtai plus guère attention. Mais le bougre insistait. Il était capital pour lui que je comprenne sa pensée.

« Tu dois comprendre, Gondebaud, que celui qui s'attache à ce qu'il a ne peut être heureux. Il est comme ce chevalier en armure qui est tombé au milieu d'une rivière. Il se débat, cherche piteusement à rejoindre la rive, trouve une branche, s'y agrippe. Il passe ses dernières heures hanté par la peur que la branche puisse se rompre Et finalement, le bout de bois se déchire, et le chevalier coûle à pic. ».
« Je... »
« Il est comme cette paysanne qui guette les cieux en craignant l'hiver. Elle compte ses récoltes, remplit son grenier, s'interdit de manger par peur d'épuiser ses réserves. Puis elle meurt d'épuisement une après-midi de trop forte chaleur. A quoi bon ses sacs de blé après cela ? Si seulement elle avait appris à renoncer... ».

Et les jours se suivaient ainsi. Iseult ne devait plus être très loin du terme de sa grossesse. Elle passait désormais toutes ses journées allongée sans espoir de pouvoir marcher un pas.
Je me souviens de ce soir là. Le soleil invaincu tirait vers l'horizon en conquérant. Il laissait derrière lui un cortège de nuages oranges qui donnait au ciel un air de champ de bataille. Le sang, pourtant, ne pleuvait pas encore. L'épouse de Josse, un compagnon de la terre, me surprit alors seul dans les champs.

« Gondebaud, Gondebaud ! Viens prestement ! C'est ta femme. Elle va te donner ton fils. Elle est entrain de mettre bas. »
J'accourus auprès d'Iseult, toute transpirante de vie. Celle-ci semblait soufrir le martyr.

« Va me chercher la fille de Maître Jehan. C'est la seule qui puisse m'aider à expulser ton héritier. Elle en a déjà lâché sept... »

Je m'exécutai, avec toute l'excitation du jeune père. Dans ma course folle, je renversai plusieurs sacs de grains. Puis je pénétrai le seuil de la mansarde Jehan.

« Maître, maître ! Votre fille s'il vous plaît. Ma femme met bas. »

Le vieil homme sortit timidement puis décida de m'accompagner. Sa fille, Cunégonde, nous suivait de près. Le soleil était désormais très bas. Regardant une derrière fois vers cet astre vainqueur j'aperçus alors au loin un nuage de poussière. Ce dernier se précisait au fur et à mesure que mes yeux se portaient vers l'horizon. Maître Jehan me tira alors violemment par le bras.

« Ce nuage. Ce... C'est toute une armée qui marche sur nous ! »