La réprouvée [achevée]

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Azathoth
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La réprouvée [achevée]

Message par Azathoth »

Azathoth (Az, fille de Thoth, en Kultari) contemplait fixement les Landes ; Elle se sentait faible, las et vieille, accusant le poids de ses trente huit ans. Un âge respectable pour tout Kultar. Plus de la moitié de sa vie, bien sonnée.

Elle repensait aux paroles de l’Alta Mundi : « Toi qui t'es adonnée aux arts interdits, part pour Seridia et trouves-y la rédemption ».

Elle brûlait de haine. Pas tant pour son exil mais pour la dramatique erreur de jugement de commise par l'Alta Mundi… Face à une espérance de vie dramatiquement réduite, les Kultars, le plus grand Peuple que les Landes n’aient jamais connues, se laissait faucher comme des mouches depuis des éons, et ce après tout juste quelques décennies d'existence.

Jamais elle ne l’avait accepté… Elle, la magicienne exceptionnelle, faisant l’admiration de ses pairs en qui tous voyaient leur future guide… pour peu que l'Alta Mundi daigne mourrir avant qu'elle même ne meurt ! Comment se résigner, après une vie d’exaltation, une vie à toucher presque le pouvoir divin, à finir en décomposition dans la vase comme le dernier des reptiles ? Alors que toutes les autres races, pourtant infiniment moins douées dans les Arts Etranges, vivaient plus longtemps ? Et pour empêcher la mort, quoi de mieux que de comprendre cette vieille adversaire des Kultars ? Quoi de mieux que de l’étudier au travers des arts nécromantiques ?

Elle avait travaillé et travaillé encore sous la houlette de son mentor, un Kultar réprouvé nommé Gersin, étrangement défiguré, vivant aux frontières du pays Sinan. Ce dernier avait depuis longtemps compris que pour vaincre la mort, il fallait s'en approprier la plus intime des connaissance. Mais, à l’inverse de Gersin, Azathoth n’était pas une adepte des sombres secrets du Métal, mais adorait les Seigneurs du Feu… et les Seigneurs du Métal n’aimaient point qu’on utilise leurs connaissances sans les révérer. Peut-être étaient-ce eux qui, le jour où elle avait fait émergé des marais de son pays natal son premier cadavre pourrissant, avaient mis ces chiens d'Oubliés sur sa route.

Ces cafards non mages l’avaient vu et s’étaient, évidemment, empressés de la dénoncer, tout heureux de pouvoir nuire à une Elue.

L’Alta Mundi lui avait laissé le choix entre le bannissement en Séridia ou la mort.

Elle avait toujours pensé qu'elle aurait préféré mourir plutôt que de tout perdre, ses amis, ses enfants, ses relations, sa fortune, et, par-dessus tout, la position sociale qu’elle tenait du fait de son pouvoir.

Mais faire face à la perspective de sa mort est parfois moins aisé qu'on se l'imagine. Si elle se tenait là, sur le débarcadère de l’Ile du Trépond, criminelle exilée, déchue de tous ses anciens pouvoirs, oubliés de la mémoire de ses amis, réduite à la misère avec une poignée de piécettes en poche, c’est car cette faiblesse, cette lâcheté que l’on dissimule sous le nom « d’instinct de conservation », et le fol espoir de pouvoir recommencer sa vie l’avait, au dernier moment, fait plier.

L'Alta Mundi, qui vivait presque deux siècles et demi, avait soufflé son existence d’un trait de plume. A presque quarante ans, Azathoth était nue. Elle n’était plus rien, elle qui aspirait autrefois au titre de Guide de tous les Kultars, et commençait une vie nouvelle. Et elle étouffait de honte et se haïssait de sa faiblesse.

Au moins, ici, personne ne la connaissait. Elle pourrait enfin accomplir son destin, devenir la plus grande praticienne des Arts Occultes que les Landes aient jamais portées. Pour atteindre le pouvoir, pour prendre sa revanche. Pour devenir Alta Mundi, titre qu’elle estimait mériter de droit de par son potentiel, et gagner le Savoir Ancien permettant de se jouer de la mort pour elle et Son Peuple ; Porter au pinacle son potentiel magique et faire des Kultars le Premier Peuple.

Et ce, avec ou sans son consentement.

Un vent chargé d’humidité l’enveloppa. Elle resserra son plaid autour d’elle, en pensant à ses enfants désormais orphelins, qui grandiraient sans jamais plus voir leur mère, après avoir déjà perdu leur père, mordu par un serpent de feu six années auparavant.

Elle contempla une dernière fois l’immensité de la Mer bleue et prit le bâton grossier et le sac de provisions qui lui tenait lieu de viatique.

Le temps étaient à l'orage.

Deux grosses gouttes tombèrent dans l'eau, mais elles ne venaient pas du ciel.
Si vis pacem, para bellum

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