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Quel départ ! Le quartier portuaire baignait dans la lumière du matin. Les festivités en l'honneur de l'expédition battaient leur plein. Pour l'occasion, les souliers aux boucles dorées entouraient les bottes fraîchement graissées. Les dagues à la garde délicatement ouvragée côtoyaient les épées au fil impeccablement tranchant. Les manteaux de velours frôlaient les capes de grosse laine. Les soldats osaient dévisager les dames d'honneur, les courtisanes souriaient aux fils de la noblesse. Les étendards du Roi et des Pairs pointaient vers le soleil, les bannières des gildes flottaient au vent. Aucune anxiété ne troublait les regards, aucune hésitation ne freinait la marche.
Les deux navires armés pour le voyage promettaient tant de conquêtes, de butin et de gloire. Notre fougueux capitaine, personnellement recommandé par le bourgmestre Lhautevoy, haranguait les cœurs et arrosait les gosiers. Notre mage érudit, revenu de son ambassade, narrait les coutumes exotiques des frêles Kultars. Nous envisagions déjà le retour triomphal, sous les acclamations urbaines.
Nous nous bercions d'illusions, comme des enfants couchés après un joli conte. L'oiseau infernal a, le premier, retourné le sablier de nos vies. Les peaux-vertes des grottes et leurs musculeux cousins des plaines cernent à présent notre position et poursuivent le macabre décompte. La rivière n'est pas assez profonde ni le courant assez puissant pour les empêcher d'atteindre notre campement. Les butées de terre, bien que ceintes de piques, n'ont pas la hauteur suffisante pour les retenir. Nous en tuons dix, mais le plus malin perce l'un des nôtres au flanc. Nous en tuons vingt, mais le plus lâche touche l'un des nôtres au dos. Nous en éliminons davantage, mais il se trouve toujours un plus cruel que ses congénères pour nous prendre encore un frère.
D'où nous sommes, nous voyons pourtant nos deux embarcations mouillant dans la crique si proche. Elles étaient pleines d'hommes et de fret en quittant notre pays, autant que peut l'être l'œuf d'une poule bien nourrie. Une seule coque serait à présent sûrement trop grande pour nous recueillir tous. Comme j'ai hâte que le soleil se couche, que nous puissions enfin tenter une sortie vers la mer.
Foire des sept cantons, remise des Prix :
Le fermier Beloi travaille sur le domaine de la combe fleurie. Il s'occupe surtout des perdrix, cailles, pigeons, oies, canards et autres volatiles du Seigneur Hardian. Envoyé au concours par son maître, le bonhomme nous a présenté cet après-midi une fort jolie poule.
L'apparence de l'animal a ému les jurés du lieu, car sa grande huppe, très voyante, retombant en avant, rappelle la coiffe traditionnelle des femmes du Blanversant. Sa barbe, de forme ovale, et ses favoris sont bien développés. Son emplumage est particulièrement riche et doux. Sa poitrine est large, son corps est long. Pour tout dire brièvement, ses proportions sont remarquablement harmonieuses.
De constitution vigoureuse, de tempérament combattif, la poule a le port de tête altier et la démarche fière. L'approcher est un exercice difficile, car elle sait manier le bec aussi sûrement que le maître d'armes sait planter son épée. Le renard n'a qu'à bien se tenir durant la nuit, s'il veut conserver la prunelle de ses yeux.