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[V]L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 16 avr. 2009, 20:50
par Din_beleg
L'Arc et la Lyre





Introduction : Atarincë, le Petit-père.


Winëwalya était à plat ventre, vautré dans l'herbe sous un immense Lairelossë aux fleurs blanches. Il écoutait avec attention, la tête penchée sur le côté, un vieux lutin chenu et barbu. Le vieux lutin lui parlait de la forêt. Il lui disait comme vieux étaient ses arbres et diverses leurs espèces, comme belles et nombreuses en toutes saisons étaient les fleurs.
Au temps ou la vieille forêt était encore jeune, et les elfes heureux comme des enfants, ils avaient apporté la joie et les chants, les rires et la musique. Ils avaient éveillé chacun, parlant doucement à la moindre des créatures, à la moindre des jeunes pousses. Ils leur avaient donné la parole, écoutant la voix de chacun. Ils avaient donné son nom à la forêt aussi. Nan-lossëa, la vallée blanche, car l'hiver un fin manteau neigeux la recouvrait. Ils avaient tissé leurs villages de verre fin et de bois vivant, et du pouvoir de leur peuple, né sur leur terre originelle.

Le vieux lutin racontait et Winëwalya, ravi, écoutait.

La lumière déclinant, le lutin s'arrêta, songeur, et lui dit :

« Peu reste encore des premiers enfants des étoiles à être venus ici, sais-tu mon gars. Et votre nombre diminue, peu de jeunes comme toi courent et dansent en ces sombres temps. Votre peuple décline et bien des arbres retombent dans leur sommeil silencieux. La vieille rivière est empoisonnée, et ses rives sont noires, son lit encombré d'arbres morts. Le silence gagne peu à peu la vallée. Et l'on entend plus souvent vibrer les cordes de vos arcs que celles de vos harpes.»

Winëwalya, bien sûr, vibrait d'envie de faire chanter son arc, il hochait la tête d'un air grave cependant.

Le vieux lutin le regardait par en dessous, et lisait parfaitement en lui.

« Oh mon gars... ton cœur est jeune, tu veux défendre les arbres et ton peuple bien sûr, et tu crois que parce que vos frontières sont impénétrables pour le moment, il en sera toujours ainsi.
Mais écoute moi bien... Ne sois pas trop pressé de prendre ta place sur une branche avec ton arc. Chaque chose vient en son temps, et à trop les précipiter on n'obtient rien de bon ! »


Cela ne pouvait que faire sourire le jeune elfe insouciant. Le vieux lutin l'observa un moment, en silence.
Puis il reprit :

« Vois-tu, vous autres grandes gens vous croyez sages souvent. Mais vous êtes bien trop sûrs de vous. Les forces ennemies se rassemblent peu à peu à la lisière de la forêt, elles grignotent dessus chaque jour, et leurs haches coupent et coupent ! De grands feux, de grandes forges, de hautes palissades ! Et vous et votre Conseil, vous palabrez, vous croyez que vous avez le temps ! Que ferez vous quand les ennemis seront plus nombreux que les fleurs de ton arbre ? Vous devriez vous décider ! Fuir ou attaquer ! Ils incendieront vos clairières, feront parler l'acier ! Vous n'aurez pas assez de flèches pour tous les tuer ! »

Ces paroles tristes et sombres qui se voulaient prophétiques ne correspondaient pas à l'humeur de Winëwalya. Le vieux lutin marmottant oubliait qu'il ne parlait qu'à un enfant parmi les elfes, et non à un sage.
Winëwalya sourit gaiement et se leva d'un bond, impertinent il clama : «Merci pour vos avis, au revoir Petit-père ! » Il attrapa la branche au dessus de lui, et en un éclair grimpa au sommet de l'arbre.
Là rêvassait celle qu'on appelait encore Ornemaline, un sourire fin, les yeux clos, une peau blanche et une chevelure blonde comme le soleil.

Re: L'Arc et la Lyre

Publié : 25 mai 2009, 17:08
par Din_beleg
Salma, la lyre.


Les elfes virevoltaient à toute vitesse, en tourbillons blancs, bleus, verts, jaunes. Les rires fusaient sans cesse et la musique en un rythme endiablé, accompagnait les pas rapides et sûrs des danseurs.
Un grand feu en son centre, projetait sur les arbres autour de la clairière, des ombres immenses et étranges.

Tous buvaient, chantaient, mangeaient, riaient. Winëwalya, les yeux écarquillés, se baladait au milieu de la fête, tout joyeux. Une fiole à la main, il sirotait discrètement le Mirûvor. Anciens et jeunes, mêlés, fêtaient ensemble l'annonce d'une future naissance.

La fête durerait plusieurs jours. La joie des elfes était profonde. Trop peu fertiles, payant le prix de leur immortalité, une elfe enceinte était le plus heureux des évènements et un fort bon présage. Ces jours là donc, l'espoir dominait.

Winëwalya s'approcha des musiciens. Riants, ceux-ci jouaient avec virtuosité une danse rapide à l'extrême. Leurs doigts sur les cordes couraient, presque invisibles. Les flûtistes, rouges, semblaient ne jamais respirer. Et le chanteur, qui tapait du pied frénétiquement, paraissait infatigable. Il accélérait encore le rythme, les paroles incompréhensibles de la chanson entrainant tous les danseurs. Cette danse était une apothéose de non-sens et de joie, soubresautante, sauvage, au rythme d'une chanson absurde qui mimait le langage du petit-peuple en une ode à la nature, à la fertilité. Les elfes l'appelaient avec humour « farfadette ».

Un des musiciens, au visage marqué d'une longue cicatrice brune, descendit de son tabouret haut et tendit sa lyre au jeune elfe avec un curieux sourire, puis il partit étancher sa soif.

Admirant l'instrument en bois léger, finement sculpté, Winëwalya s'assit aux pieds de l'estrade. Délicatement, ses doigts firent le tour de la lyre, passèrent sur ses cordes d'argent. Retenant sa respiration, il osa faire doucement tinter une des sept cordes. La note, fine, pure, s'éleva et se mêla à la musique. Il ne sentit pas sur sa nuque les regards amusés des musiciens.

Lorsque revint l'elfe étrange, Winëwalya lui rendit l'instrument. Il passa le reste de la nuit à le regarder faire chanter à la lyre, la joie intense des elfes.

Lorsque l'aube parut et que les elfes pour un moment suspendirent leurs danses, le joueur de lyre s'approcha du jeune elfe et lui offrit l'instrument.

« Prends Winëwalya, elle a aimé la douceur de tes doigts, sa magie accompagnera tes chants... »

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 21 août 2009, 15:08
par Din_beleg
Lindë, une chanson.


La magie de la lyre aux cordes d'argent semblait en effet enlacer les paroles des chants de Winëwalya. Ses notes fines et pures soutenaient sa voix claire et haute. Si la musique était belle, les paroles qu'inventaient Winëwalya lui auraient valu nombre d'ennuis. Mais les elfes ciblés par ses chansons sans queue ni tête, souvent moqueuses, paraissaient frappés d'une grande indulgence lorsqu'ils entendaient les notes argentées.

Nyérëlin, le musicien qui lui avait offert la lyre, cachait sous sa cicatrice et son sourire énigmatique, un humour assez semblable. Il apprit à Winëwalya, en plus des magnifiques lais contant l'histoire et l'origine des elfes, nombre de comptines bêtes et de chansons à boire.

Et c'est ainsi que pendant un temps, il ne fut pas rare de les croiser tous deux, chantant à tue-tête et sur un air joyeux :


« Petit, laid, longuement barbu,
Il est bien volontiers grivois,
Il titube, toujours il a bu,
Il fait tonitruer sa voix.

Ce rase-terre à  brioche,
A la main gauche une bière
A la main droite une pioche,
C'est un nain et il en est fier !

Il chante, il voudrait railler,
de ses nombreux chants stupides,
De sa voix rauque, éraillée,
Les Hauts Elfes intrépides.

Mais nous autres, grands et sages
Nous regardons droit devant nous,
Bien que parfois pour le message
Nous nous mettons sur nos genoux,

Et vifs et agiles nous sortons,
De quelque poche nos ciseaux,
Et prestement nous emportons
Taillé propre et en biseau,

Un petit morceau de barbe, complétant notre collection !

Cette comptine doit être chantée, mais, nobles elfes, attention,
Les nains aussi ont des ciseaux, et pour nos oreilles une affection. »



Winëwalya, bien que la lyre fut un jour brisée, garda à jamais le souvenir de Nyérëlin et de ses joyeuses comptines.


Image

Voici Nyérëlin tel que le dessina Feydreyah, amie bleue de l'elfe qu'est devenu Winëwalya tant d'années plus tard.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 30 août 2009, 20:59
par Din_beleg
Atani, des Hommes.


Ce n'était pas une époque sereine, ni dans la vallée ni au dehors. Cependant la forêt, ses Gardiens, la crainte qu'en éprouvaient les voyageurs d'autres peuples, avaient jusque là protégé les elfes les plus jeunes du désagrément de leur rencontre.

Mais la guerre approchait. Son odeur âcre leur parvenait à présent.

Ce jour là sur le chemin, un triste cortège avançait lentement, conduit par les Gardiens jusqu'à la clairière Ûr.

Main dans la main, bouche bée, Winëwalya et Ornemaline regardaient défiler les malheureux.
Des hommes... des humains mortels. Ils étaient leurs voisins, descendus des flancs de la montagne. Leurs villages de simples bûcherons brûlaient.

Les humains, sans aucun doute eldorians, marchaient péniblement. Ils avaient l'air épuisé, et aussi quelque peu effrayés, silencieux. Ils étaient sales, habillés de guenilles, maigres et pâles. Certains étaient blessés. Il y avait peu d'hommes mais beaucoup de femmes et d'enfants. Ils avaient quelques pauvres bagages, sur quelques mulets aussi misérables qu'eux.

Devisant avec Tíriel le chef des Gardiens, un homme gigantesque semblait les conduire. Une hache énorme pendait à sa ceinture. Son visage de pierre était couturé de cicatrices, ainsi que ses avant-bras nus. Il était aussi grand qu'Adaer, le plus grand des elfes du village, mais il était beaucoup plus large. Tout en lui respirait la force.
Les bûcherons avaient la peau blanche et les cheveux blonds ou roux. Le géant brun de peau et de poil ne semblait pas être du même peuple. Cependant tous le suivaient et leurs regards souvent se portaient sur lui, chargés d'espoir, d'une confiance absolue.

L'homme, d'une voix musicale et douce qui contredisait curieusement son air de brute, demanda à Tíriel :

« Gardien, nous sommes pas loin de trois cent. Quelques uns sont blessés, deux femmes sont enceintes, nous avons des enfants à peine sevrés. Combien de temps nous accueillerez vous ? »

Et Tíriel répondit :

« Oh, ne vous inquiétez pas encore de cela, ici vous vous reposerez. Cependant ne vous éloignez pas de cette clairière, son feu vous réchauffera le corps et l'âme, mais ailleurs... vous pourriez vous perdre. »

Cette mise en garde était inutile car ces humains n'auraient jamais osé s'aventurer dans la forêt sans être guidés par l'un des elfes. Eux qui vivaient pourtant à la lisière de la forêt en avaient une peur bleue. Il se racontait dans ces villages de bûcherons des histoires terribles sur ce qu'il advenait à ceux qui s'y risquaient. Et bien qu'ils soient proches voisins des elfes, ne vivant pas au même rythme, seuls les plus âgés en avaient déjà vu.
Il y avait donc de la crainte dans l'attitude de la plupart des humains, ils se méfiaient de leurs bienfaiteurs et parlaient à voix basse en leur présence, persuadés sans doute de n'être pas entendus.


Au centre de la clairière brûlait un feu éternel qui ne nécessitait jamais qu'on l'attise ou l'alimente d'aucune sorte. Selon les besoins de ceux qui méditaient autour, il flambait vif et haut ou rougeoyait doucement. C'est de ce feu que la clairière tenait son nom.

Là donc des hommes se reposèrent, et des pieds mortels foulèrent l'herbe fraîche de la clairière Ûr. Et des âmes mortelles se réchauffèrent à son feu.
Les corps guérirent et les plaies se refermèrent, les humains oublièrent pour un temps leurs terreurs.

Quand aux elfes, si les plus sages se montraient indifférents, et pour certains même bienveillants, les plus jeunes étaient troublés.

Winëwalya, d'abord curieux, les avait observé et avait essayé de leur parler. Mais il était dégoûté par leurs manières, par leur saleté et leur odeur, surpris par leur grossièreté et leurs regards fuyants, par leur langage pauvre et leurs voix rauques.
Il avait la sensation que leur simple présence souillait la forêt, et qu'ils laisseraient derrière eux pour des siècles leurs miasmes impurs.

Il s'en confia à Othar. Son mentor l'écouta, un léger sourire errant sur son visage rude.
Othar était un solide elfe, plus petit et plus râblé que la plupart. Winëwalya avait entendu bien des choses sur son compte, mais jamais Othar ne répondait directement aux questions sur son passé qui restait un mystère pour la plupart. « Est-il vrai Maitre que vous avez conseillé Thylion le père de Fingel lui-même ? ». « Est-il vrai Winëwalya que tu n'écoute pas mes conseils et que tu as chanté qu'Adaer était né d'un peuplier et d'une asperge ? »
Othar avait refusé la place au conseil des Anciens qui lui revenait en raison de son âge. Ce refus ne lui avait pas pour autant enlevé la haute considération des Sages, ceux-ci paraissaient avoir compris ses raisons.

Othar était d'après Winëwalya un puits sans fond de sagesse et de connaissances. Mais de ce puits il fallait soi-même tirer l'eau. Othar était peu loquace, voire taciturne, il ne parlait pas pour ne rien dire. Le contraste en était saisissant lorsqu'il parlait avec son volubile élève.

« -Maitre ? Les humains... ils sont tous semblables à ces mendiants ? Ils sentent le cadavre ! Et ils en ont l'intelligence !

-Hm...


-Pourquoi ont-ils cet air de lapin apeuré sur leurs faces sales ? Pourquoi ne me regardent-ils jamais dans les yeux ? Pourquoi leur chef est si différent d'eux ? Maitre, je croyais que seuls les nains pouvaient être aussi malodorants !

-Grmbl...

-Maitre, vous qui avez vu tant de choses et rencontré tant de peuples, est-ce que les humains sont les plus bêtes ou y a-t-il pire qu'eux ?

-Oh... Les orques...

-Ah ceux-là... Mais j'ai pourtant appris de vous que certains humains étaient particuliers ? Fingel valait presque un elfe m'avez vous dit ! Comment de tels gens peuvent-ils être du même peuple ? Maitre, je voudrais qu'ils partent, la clairière est irrespirable, leur présence empoisonne l'air et pourrit les feuilles autour ! »


Othar se décida à parler enfin. Il était son Maitre après tout, aussi fatigant cela fût-il.
Et quand Othar parlait, Winëwalya se taisait. Il était empli d'un profond respect pour son Maitre, et celui-ci ne manquait pas d'éloquence quand il daignait ouvrir la bouche.

« Les races sont nombreuses et différentes. Les peuples parmi ces races sont nombreux et différents.
Ces hommes ne sont pas les pires même parmi les hommes. Il existe des hommes aux âmes sombres comme il existe des elfes aux âmes sombres, dont la peau également s'est assombrie. »


Winëwalya frissonna, on évoquait peu les elfes noirs.

« Ces hommes vivent de la forêt, ils en ont le respect, tout comme nous, quoique leur respect soit inspiré par la crainte et non l'amour. Ce qu'ils ont subi tu ne peux l'imaginer. Leur âme est mortelle. Elle craint la mort. Ils ne partent pas pour Valinor, quoique leur place dans l'harmonie finale vaille sans doute la notre.
Ils vivent au pas de course, brûlent leur vie comme bois de chauffe car ils sentent qu'elle leur échappe. Ils n'ont pas le temps de devenir sages, et pour ces bûcherons, la faim commande. On n'est guère sage quand on a faim.
Fingel était une exception. Ce guerrier qui est leur chef est une exception. Il prouve par sa présence que leur peuple contrairement au notre ne s'appuie que sur les individus exceptionnels. Ils ignorent encore que la communauté est l'essentiel, ils croient toujours être sauvés par un seul, alors que ce qu'un seul peut faire, un seul peut le défaire. Ce que tous font et défendent, il n'est personne pour le détruire. Ne t'ai-je pas parlé de ce qu'il est advenu de l'Alliance ? Même nous elfes l'avons crue possible et durable, mais la sagesse se partage moins bien que l'envie et la volonté de pouvoir, surtout chez ces humains.

Quand aux autre peuples, tu les découvriras un jour Winëwalya, tu feras ta propre idée. Ne te fie pas aux chansons de Nyérëlin pour les décrire, elles sont faites pour être drôles.
Pour autant, je te le dis, si tu as un jour la chance de rencontrer les Sauriens, apprends à nager et apprends de leur sagesse, il n'y en a chez aucun peuple de semblable et la stupidité de beaucoup se mesure à leur mépris des Sauriens. »


Oh Winëwalya ne comprit certes pas toutes les allusions d'Othar. Et son attitude ne changea guère. Mais ces paroles restèrent tout de même gravées dans son esprit. Et il espéra au moins croiser des Sauriens, lorsqu'il erra seul le long des rivages de la grande mer, quelques fingeliens tard.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 07 sept. 2009, 23:58
par Din_beleg
I hrívë, l'hiver



L'hiver avait passé. Les hommes étaient restés dans la clairière Ûr.

La vallée avait semblé dormir sous un fin linceul de neige. Les coupoles et les fins entrelacs de verre tissés parmi les branches avaient émerveillé les hommes. Le petit peuple lumineux qui éclairait chaque soir le village dans les arbres, semblait en cette saison être démultiplié. Chaque filet de givre sur les feuilles éparpillait les rayons des lucioles, et les flocons sur le verre semblaient un léger voile de dentelle, captant puis restituant leur lumière.
Lorsque le jour se levait, le soleil naissant éclatait lentement sur les arbres glacés, en innombrables reflets roses. Il devait quelquefois trouer une nappe de brume épaisse, pour parvenir au sol gelé en faisceaux de lances fines et brillantes.
Et tout le jour parcourant l'espace, tour à tour seul dans le ciel bleu ou caché par des nuages, ce soleil froid n'en réchauffait pas moins les âmes. Des nuages floconneux entretenant la neige déversaient régulièrement leur poudre légère, en tourbillons dansants entre le ciel et la terre de Nan-lossëa.

Nan-lossëa, la vallée blanche, avait reçue son nom en hiver. Les elfes qui l'avaient découverte et apprivoisée, en étaient tombés amoureux.

Les hommes eux, ne connaissaient de la saison que la froide rigueur des flancs abrupts de la montagne qui dominait la vallée. Elle leur sembla donc douce auprès des elfes, et leur crainte s'apaisa. Ceux qui levèrent la tête incitèrent ceux qui étaient encore courbés à faire de même. Les lumières suspendues éclairèrent leurs visages et brillèrent dans leurs yeux. Et pour un temps, long ou bref selon qu'ils soient mortels ou immortels, les hommes et les elfes cohabitèrent.

L'humain gigantesque qui dirigeait les hommes s'appelait Achour. Il parlait peu et l'hiver avait vu Achour et Othar se rapprocher, tissant un lien fait d'estime réciproque. Un homme de peu de mots, un elfe de peu de mots, chacun différent parmi les siens.

Beaucoup d'elfes indifférents étaient devenus bienveillants, quelques bienveillants étaient devenus amicaux. Certains hargneux s'étaient calmés, quoique la neige souillée et boueuse de la clairière Ûr leur tirât souvent une grimace dédaigneuse.

Les elfes côtoyant les hommes avaient mieux compris quel danger les guettait. Les visages étaient graves. Les jours d'insouciance qui devaient marquer la naissance du printemps furent cependant préparés comme chaque année.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 08 sept. 2009, 00:01
par Din_beleg
Sirpi ar lassi, racines et feuilles.



L'avant-veille de l'équinoxe de printemps, Amuntëndil convoqua le Conseil des Anciens. Amuntëndil, le vénérable Guide, affichait une figure plus sévère et impénétrable encore qu'à son habitude.

Avaient été conviés, outre les membres en titre du Conseil :
Tíriel, le chef des Gardiens, dont on disait qu'il avait combattu aux côtés des nains et apprit à manier la hache avec une grande dextérité ; Alarca, une émissaire qui portait les messages de vallées avoisinantes et qui parait-il courait aussi vite qu'un oiseau vole ; Atarincë, le vieux lutin, en qualité de représentant du petit-peuple ; l'immense Achour qui semblait être un chef parmi les hommes ; Othar enfin, qui inspirait à chacun un respect parfois mêlé de crainte, et dont les paroles étaient toujours écoutées par tous, rares et précieuses.

Et ce conseil dura un jour et une nuit.
Oh les Sages dirent nombre de choses sages. Certaines paroles étaient de prudence, d'autres étaient audacieuses, certaines paroles véhémentes s'élevèrent haut, certaines paroles réfléchies restèrent basses et circulèrent à tâtons. Mais toutes ces paroles furent très sages. Et si sage fut ce conseil, qu'à la fin une décision fut prise. Amuntëndil lui-même en sembla aussi surpris que satisfait.

Sitôt le Conseil conclu, Alarca fila comme le vent porter des messages aux communautés elfiques les plus proches. Après son passage dans les clairières, alors que l'on préparait la semaine de l'insouciance, quelques visages soucieux préparaient une guerre.

Othar et Atarincë s'appliquèrent à faire saisir à Winëwalya le déroulement de l'assemblée, et les évènements qui devaient en découler.
C'était la première fois de mémoire d'elfe, d'après Othar, que le Conseil de Nan-lossëa entendait un humain. Cet homme était Achour.

Achour, de sa voix douce et sereine, avait décrit précisément l'avancée de l'ennemi, comment les orques et leurs chamans avaient écrasé les maigres escarmouches des villageois humains. Ceux-ci avaient voulu défendre le col de la montagne, espérant que l'hiver le défendrait ensuite, le temps de fuir. Balayant les bûcherons devant eux, les orques avaient passé le col. Ils avaient rapidement fait surgir de terre un camp fortifié comme tête de pont pour une armée plus nombreuse. Ce n'était qu'une avant-garde, c'en était fini de la paix fragile dans la vallée.

Les Anciens avaient pris leur temps avant de se résigner à la guerre, expliqua Othar. Ils avaient d'abord évalué leurs défenses avec soin. Les frontières invisibles de la forêt, le pouvoir qui protégeait la vallée et les quelques Gardiens aguerris ne leur suffiraient pas pour résister à une armée de feu et d'acier, nombreuse, et attaquant de front.
Pour se défendre, ils avaient donc opté pour une attaque !
Cette offensive aurait lieu au milieu de l'été, à quelques mois de là. La date, les forces à envoyer, les frontières à renforcer, tout cela avait été discuté et tranché, sous la direction rigoureuse d' Amuntëndil.

Winëwalya écouta donc sans en perdre une miette le récit d'Othar. Tout le jour au pied de son arbre, il tailla des flèches pour son arc ou aiguisa des chansons pour sa lyre. La guerre ou la fête, il attendait les deux avec impatience, sous les regards songeurs du vieux lutin et du sage elfe.

Atarincë répéta sans se faire prier la tirade qui selon lui avait été décisive pour convaincre les Anciens d'agir.
Tout habillé de jaune et de bleu, une longue barbe blanche mousseuse, de minuscules lunettes sur le bout du nez, une main passée dans sa ceinture, l'autre brandissant une brindille en guise de bâton. Oh, il n'avait rien de risible, et le jeune elfe ne rit pas plus que les elfes du Conseil n'avaient ri.
Il se dressa devant le jeune elfe :

« Ô Fils de Narda, enfants des étoiles, maitres de la parole, habitants des hautes branches ! Et toi Homme ! Écoutez depuis vos hauteurs la voix du peuple des racines ! Il parle par ma bouche.
Le fer ne doit pas manger le bois, les hurlements ne doivent pas couvrir les chants, les larmes ne doivent pas effacer les rires, les racines ne peuvent s'abreuver de sang !
La guerre est la dernière chose que le Petit-Peuple puisse souhaiter. Mais la guerre est là ! Nous ne
l'avons pas voulue, ni vous autres grandes gens. Mais elle gronde partout et vous prenez votre temps
! L'ennemi chasse les humains devant lui, il vient en nombre !
Derrière ceux qui viennent plus rien ne pousse. Aussi faut-il agir à présent, peut-être n'est-il pas trop tard ! »


Othar décrit au jeune elfe comme Amuntëndil avait souri au Petit-père. S'inclinant devant lui, il lui avait répondu :

« Ce que souffle le vent aux feuilles, les racines le comprennent, ce que murmure la terre aux racines, les feuilles le retiennent. »

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 20 janv. 2010, 21:44
par Din_beleg
I yanta ar i helyanwë, le pont et l'arc-en-ciel


Le Mirûvor avait coulé à flots, les chansons et les danses n'avaient pas cessé d'une semaine entière. Sous toutes les tonnelles, dans toutes les clairières, on chantait, on riait, on chahutait. Aux yeux des humains, cette fête sembla certainement la chose la plus étrange qu'ils aient vue de leur séjour dans la forêt. Les elfes dont le regard brillant, sans âge, leur semblait parfois celui de vénérables rois antiques, semblaient à présent aussi enjoués, rieurs et insouciants que des enfants. Pour les elfes, il fallait célébrer avec ardeur ce printemps qui fleurissait sous de mauvais augures.

Winëwalya et Ornemaline avaient eux aussi fêté le printemps comme si c'était le dernier qu'ils voyaient naitre à Nan-lossëa, comme si cette semaine insouciante marquait la fin de toute insouciance.

Ils tentaient d'empêcher la guerre d'occuper leurs pensées conscientes, mais elle errait toujours à la lisière de leurs rêveries.

Winëwalya chantait souvent et autour de lui le calme régnait rarement :


« Un petit nain, deux petit nain trois petits nains se baladaient !
Ils n'étaient pas plus haut qu' leurs pioches !
Ils n'avaient pas beaucoup d' caboche !
Comme pas z'un toujours ils buvaient

Un jour fin' saouls et bien stupides !
Ils repérèrent une naine timide

Un petit nain, deux petits nains, trois petits nains, rendus avides
Coururent après la naine rapide,
La pauvre naine toute livide,
Le front ridé de petites rides,

Fuyait les nains soufflants et tout humides
Ils s'arrêtèrent bientôt pour étancher
D'une bonne bière leur gorge aride.
Jamais la naine ils ne purent toucher.

La morale de cette histoire est très très claire
Car ces nains sont comme tous leurs congénères

Une bière est toujours suivie d'une autre
Et rapidement sous la table ils se vautrent

Les nains toujours aux charmes des naines
Préfèrent de bière emplir leurs bedaines.
Ces nains sont toujours en amour malheureux
Voilà pourquoi ils sont si peu nombreux. »




Semblant plus joyeux que jamais, il sortait d'un trait, armé de sa lyre, une chanson en toute occasion.
Mais Ornemaline, qui pouvait d'un coup d'œil sonder le cœur de Winëwalya, le savait troublé. Son regard songeur se perdait parfois vers l'horizon vague, lorsqu'ils étaient ensemble au haut du Lairelossë, dominant la mer verte des sommets feuillus.

Ce matin là, ils marchaient en silence, main dans la main. Leurs pas légers qui n'auraient pas fait frémir l'air devant eux, suivaient leur propre chemin, vers un vieux pont sur une vieille rivière, jusqu'à la butte nue.
Ce vénérable pont de pierre faisait peine à voir. Il enjambait une eau noire et furibonde. Jadis chargé de fleurs et de vigne vierge, il ne restait que quelques lambeaux noirs pendant lamentablement du parapet.
L'herbe verte n'osait plus pousser au bord de l'eau. Quelques arbres, auparavant si bien agrippés aux rives, étaient morts ou mourants. Ils s'étaient abreuvés avec confiance à cette eau autrefois bienfaisante. Un poison s'était infiltré et avait rongé les arbres, des racines aux feuilles, lentement diffusé par une sève devenue mortelle.

Les deux jeunes elfes s'assirent sur un tronc mousseux. Les yeux transparents d'Ornemaline errèrent du vieux pont aux arbres morts. La lyre de Winëwalya resta muette. Longtemps ils songèrent là en silence, côte à côte.

Winëwalya parcourut en pensée le cours de la rivière, jusqu'à la lisière de la forêt.
Les racines des arbres s'y mêlent aux racines de la montagne. Leur taille diminue sur le sol plus rocailleux, mais leurs cimes s'élèvent de plus en plus haut, étant perchés sur des contreforts de plus en plus abrupts.

C'est là que le pouvoir des elfes cesse. Là commence une zone sans pouvoir, où survivent quelques hommes, perdus loin des leurs. Ils sont comme coincés, entre une forêt elfique qui les effraye et une montagne abritant les nains, qui les ignorent absolument.

La vieille rivière jaillit bouillonnante, creusant une gorge étroite depuis des cavernes profondément enfouies, qui abritent un lac souterrain immense. Une légende, commune aux elfes et aux nains, décrit une eau doucement lumineuse qui ne laisse jamais la pénombre régner entièrement. Des pierres vertes affleurent parfois à la surface, des émeraudes en réfléchissent le pâle éclat. La cascade souterraine qui expulse la rivière des flancs de la montagne fait vibrer une musique furieuse, étouffée mais incessante. Un froid glacial règne.
Lorsque au profond de la montagne, ce lac source de la vieille rivière avait été souillé, les arbres tremblants n'avaient pu que se résigner à mourir rapidement, ou à se laisser misérablement dessécher. Le cours de la rivière n'était plus qu'une balafre noire à travers la forêt.

Un soleil rouge plongeait sous l'horizon. Reprenant leur marche, Ornemaline et Winëwalya passèrent le pont. Suivant le chemin jusqu'à la butte nue, ils ne parlaient pas.

Ils grimpèrent les marches de pierre. Ils s'assirent ensemble sur le banc de granit au sommet. Ils regardèrent ensemble la ligne d'horizon enfin révélée, et la virent barré au nord d'une épaisse fumée noire. Ils frémirent et Winëwalya se crispa, les yeux fendus par la colère.

Winëwalya avait souhaité que ce printemps soit éternel. Mais la rivière noire assombrissait son cœur, et les aubes et les brunes rouges lui semblaient être rouges de sang. Il sentait battre son cœur. Un besoin d'agir aiguisait ses sens, un sentiment inconnu se faisait progressivement plus clair et plus impérieux. Une rage sourde naquit en lui ce soir là sur la butte rouge.

Ornemaline sentit ce changement, un frisson la parcourut.

Elle contempla ses mains blanches et fines, fortes d'un pouvoir qu'elle ne contrôlait guère encore. Elle savait déjà que certains maux ne peuvent être guéris. Elle savait que ce qui prenait pied en Winëwalya ne guérirait pas de ses mains.

Pourtant une pluie fine et douce, pure, tomba. Un rayon de soleil oblique vint dessiner un pont lumineux au dessus des arbres morts. L'arc-en-ciel tremblant sembla enjamber comme de rien cette balafre sur la forêt.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 25 janv. 2010, 03:16
par Din_beleg
Pilin, une flèche.


Winëwalya regarda une dernière fois Ornemaline. Elle était assise là, reposant contre l'arbre, les yeux clos, ne souriant pas vraiment, plongée au profond de ses pensées. Le cœur du jeune elfe gonfla et sa détermination faiblit. Il lui fallut un effort de volonté pour s'arracher à cette vision. Il descendit en silence, en un instant aux racines de l'arbre. Son arc et un long coutelas dans son fourreau l'y attendaient sous une fougère. Il partit.

Il courut en silence sous les hautes futaies et les frondaisons bourgeonnantes. Les collines et les combes fleuries frémirent à peine à son passage. Quelques arbres surpris semblèrent se pencher, interrogateurs. L'herbe à peine foulée se redressa paresseusement derrière lui.

L'orée de la forêt se fit pressentir au bout de quelques jours. Les pierres roulaient sous ses pieds et une odeur funeste écœurait ses narines.

Winëwalya s'accroupit sur une des branches hautes du vieux sorbier qui marquait comme une limite entre les arbres sous le charme de Nan-lossëa et ceux qui poussaient en silence, presque aussi sommeillant que des pierres.
Devant lui ces quelques arbres épars cessaient bientôt. Des souches noires couvraient la plaine jusqu'à la rive de la vieille rivière, les flancs de la montagne étaient nus.
Les bûcherons savaient entretenir la forêt à leur manière, et ne coupaient pas plus que le nécessaire.
Ce que voyait Winëwalya était l'image même de la désolation et de la destruction, ce n'était pas l'œuvre des bûcherons.

La terre était ravagée et boueuse, jonchée de troncs sauvagement amputés, de carcasses brisées d'arbres autrefois fiers et hauts, d'outils rouillant, de cadavres tordus. Et se dressait un charnier fumant. On s'était battu là.

L'elfe ne parvenait pas à comprendre encore ce qu'il voyait. Rien ne l'avait préparé à un tel spectacle. Les mots des humains n'étaient que de pâles descriptions de cette horreur. Les chants héroïques des temps anciens magnifiaient les batailles, ici ce n'était que boue et sang.
Deux ou trois dizaines de gibets avec leurs tristes fruits balançant au gré d'un vent puant étaient dressés le long d'une vague route.
Cette route descendait de la montagne et menait aux portes larges et sombres d'un camp fortifié. Les palissades de bois noirci s'élevaient haut. Des tranchées profondes avaient été creusées tout au long. Des fumées noires s'élevaient du camp. Une rumeur faite de hurlements de suppliciés, de grognements rauques, d'ordres aboyés en une langue barbare, de rires terrifiants, martyrisait les oreilles de Winëwalya. Une étrange sensation, jusqu'alors inconnue, lui descendit l'échine, froide. Elle lui noua les tripes, et il comprit. Il avait peur.

Un grondement sourd et rythmé roula jusqu'à lui. Les grandes portes du camp bougèrent lentement, faisant entendre un grincement sinistre. Winëwalya, déjà invisible à des yeux mortels, cessa tout mouvement. Le grondement du tambour se fit plus fort, résonnant à travers la plaine dévastée.
Largement ouvertes, les portes vomirent une cohorte d'êtres hideux, difformes, avec une peau verdâtre, des yeux luisants, des rictus laissant entrevoir des crocs jaunes, des armes larges et lourdes à la main, des armures épaisses, rouillées et disparates, des guenilles sales. Ils brandissaient des étendards immondes, couverts de signes tordus.
Ils marchaient pourtant en ordre, au rythme du tambour. Ils étaient nombreux. Ils encadraient une troupe misérable d'esclaves apeurés, qu'ils faisaient avancer à coup de fouet. Les prisonniers poussaient des chariots vides ou chargés d'outils de toute sortes. Le camp ne cessait pas de se vider.

Winëwalya faillit hurler tout-à-coup. Les esclaves étaient tous des hommes, mais là, là... Malgré la distance, il en était sûr, là un elfe avançait, marchant droit. Ses yeux perçants ne pouvaient faire erreur.

Agrippant son courage, il se révolta contre son envie de fuir, et sa main sur son arc s'affermit. Il avait courut à la lisière de la forêt, dépassant la troupe qui rejoignait un enchevêtrement de troncs. Il s'était avancé au plus près, à portée de flèche.
Les esclaves s'étaient mis au travail, débitant les troncs.
L'elfe prisonnier, dont le visage restait caché derrière une chevelure blonde, sale et ensanglantée, restait debout, sans bouger. Des créatures près de lui hurlaient et le bousculaient, mais l'elfe ne bougeait pas.

Les orques dressèrent face à la forêt une grande croix de bois.
L'elfe fut bousculé, poussé, tiré, roué de coups, fouetté.
Il se releva chaque fois, et resta chaque fois imperturbable, sans un geste.
Les orques lui lièrent les mains, et jetèrent deux cordes par dessus les deux branches de la croix.

Winëwalya fut un instant cloué sur place lorsqu'il comprit. Son cœur battait à tout rompre, mais son souffle resta calme lorsqu'il se leva, à moitié caché par une souche large. Il prit une flèche dans le carquois à son dos, il banda son arc dans le même mouvement fluide et rapide et la flèche siffla. Il vit le regard de l'elfe briller lorsque celui-ci releva la tête. Il le vit comprendre et crut le sentir sourire quand la flèche lui perça le cœur. Et il le regarda tomber comme si le temps s'était figé.
Puis il se retourna et partit à toute vitesse vers la forêt.

Les orques avaient réagi rapidement, et ils se lancèrent aussitôt à sa poursuite. Ils ne seraient jamais assez rapides pour le rattraper, et leurs flèches lourdes ne pouvaient atteindre l'ombre verte à peine visible qui filait comme le vent. Mais ils étaient nombreux et ils osèrent avancer sous le cercle de Nan-lossëa. Winëwalya ne pouvait les laisser fouler ce sol. Une rage et une tristesse infinies l'étouffaient, son cœur était comme pris dans un étau. Il passa dans les hauteurs, puis il attendit, assis sur une branche, sombre et immobile comme un nœud sur le tronc.
Il vida son carquois dans les heures qui suivirent. Pas une flèche n'avait manqué sa gorge ou sa poitrine, la forêt ferait le reste.

Winëwalya repartit vers le cœur de la vallée, triste et sombre, marchant comme écrasé sous les arbres, l'âme blessée.

Une fraiche clairière d'herbe verte le recueillit bientôt. Petite et ronde, elle ressemblait à un cocon vert.
Il s'allongea là, sous une pluie douce. Il resta là tant que la pluie tomba. Il chanta sa peine sous les étoiles.


« J'écoute pousser l'herbe humide
Étendu, la bouche ouverte, avide
Je bois sans soif les pleurs du ciel
Ses larmes pures aux miennes se mêlent
Ciel du matin ou du soir
Qu'une étoile emplit d'espoir
Qu'un soleil rond ensanglante
Pleurant, les lèvres tremblantes
Là c'est un jour qui s'achève
En attente d'une aube brève
Ici je vois et triste je chante
Une arche comme une route transparente
Qu'un nuage s'écarte, cesse la pluie
Que brille un soleil après la nuit
Un espoir vers l'ouest meurt
Mortel était cet immortel cœur
Une flèche comme une étoile filante
Transperce par une plaie sanglante
Trace comme une route vers une mort
Sereine et douce, éternelle en Valinor »

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 30 janv. 2010, 02:34
par Din_beleg
Rindë, ondo, un cercle, une pierre.



« Winëwalya... où donc étais-tu encore, dis moi ? » maugréa Othar.

Winëwalya le regarda sans rien dire, et son mentor lut dans son regard ce qu'il ne pouvait encore dire.
Son visage rude s'apaisa un peu, et ils s'assirent ensemble. Othar prit sa petite fiole d'argent à sa ceinture et la tendit à son élève. Winëwalya but une gorgée. Le Mirûvor lui chauffa la gorge et la poitrine, l'apaisa lentement.
Aucun mot ne pouvait franchir ses lèvres, mais Othar lui prit les mains et fermant les yeux tous deux, ils échangèrent leurs pensées.

Le jeune elfe était blessé, les chants et les poèmes magnifiaient les batailles d'antan, mais ce qu'il avait vu à la lisière de la forêt était affreux, totalement dépourvu de noblesse ou d'héroïsme.

Othar longtemps parla à son élève. Comme il n'en avait pas l'habitude, il humecta souvent ses lèvres au flacon d'argent.

Othar, sous le sceau d'un secret aussi solide qu'implicite, raconta une partie de son histoire.
Membre de la garde d'Alganiel, il avait participé à maintes batailles aux côtés des capitaines des peuples de l'Alliance. Il avait escorté Alganiel pour le conseil qui avait suivi le massacre des jours sombres, puis défendu les frontières d'Eldorian, pendant que Fingel se rendait précipitamment à la grande Bibliothèque elfique pour ses recherches sur l'Illith-Thyl. Il avait vu et combattu les monstruosités issues des ignobles tripatouillages sinan, il avait lutté contre leur magie macabre. Assurément la guerre n'avait rien de noble, ce n'était que boue, sang et os. Nombre d'elfes avaient péri sous ses yeux et jamais il ne chanterait plus la guerre que pour leur souvenir, pour les pleurer.

Winëwalya comprit aussi pourquoi son Mentor ne siégeait pas au conseil. Ayant assisté avec désespoir à la funeste ascension de Tallikion le maudit, il s'était opposé aux elfes qui avaient décidé de quitter l'Alliance, précipitant sa chute selon lui. Il avait quitté toutes ses fonctions et s'en était retourné en Nan-Lossëa, la vallée de sa jeunesse.

Othar lui parla aussi de l'arrivée de leur peuple dans cette forêt. Les elfes s'y étaient arrêtés lors de leur longue migration vers l'ouest, ils l'avaient tant aimé qu'ils n'avaient pu repartir. Ils avaient pu la défendre toujours, grâce au pouvoir qui était en eux, au pouvoir qu'ils partageaient, et qui plongeait ses racines dans la terre, profondément, tissé comme une toile entre les arbres et toujours abreuvé de la lumière des étoiles.
Ils l'avaient aussi défendu bien des fois par l'acier et l'arc.

Winëwalya avait défendu sa terre, il avait avec sa flèche mortelle permit à son frère de mourir dignement et de rejoindre les cavernes à l'ouest, en Valinor. C'était une voie de sérénité qu'avait ouverte sa flèche.
Une voie qui s'ouvrait aussi vers le rituel.

Il était un peu tôt encore dans la vie de l'elfe, mais Othar estima que le moment était venu, l'épreuve infligée par le destin devait être consacrée par l'épreuve de la communauté. Amuntëndil se rangea à cet avis.
Ce rite était propre à Nan-lossëa, quoiqu'on en trouvât de semblables dans bien des forêts. Winëwalya ne serait plus le même après et un nouveau nom lui serait bientôt attribué.






Winëwalya méditait depuis plus d'une dizaine de jours au sommet du Lairelossë. Il ouvrait parfois les yeux, le jour ou la nuit, regardant à la lumière du soleil ou de la lune, une pierre verte posée devant lui.

De la pierre, émanait une douce lumière verte. Elle était parfois plus lumineuse, passait imperceptiblement d'un vert très clair, celui de l'herbe fraiche d'une clairière sous le soleil, à un vert très sombre, comme sous les épaisses frondaisons du cœur de la forêt.

Il souriait, son jeune visage calme et détendu. La nuit, il levait parfois le regard, comme pour sourire à Elnereth.

Il se remémorait son apprentissage, il visitait en pensée ses années passées. Il revivait ses nombreuses moqueries et autres farces qui lui avaient vite valu son nom d'apprenti, Winëwalya ... « petit agité ».
La jeunesse des elfes ressemble en ceci à toute autre jeunesse. Le bonheur présent ne se laisse pas dominer ou contraindre par les malheurs futurs, aussi assurés soient ceux-ci. Et les elfes dont la vie est si longue, mieux que tout autre savent jouir du présent, les moments de plaisir peuplant leurs méditations pour des centaines d'années, inlassablement revécus.
Il songea à ce qu'il avait appris, à ce qui ferait de lui un Gardien de la forêt. Son Maitre dans cet Art, une elfe joyeuse et fière, sans attache et archère sans pareil, se nommait Aranya. Aranya avait décelé en lui des prédispositions pour les Arts de la nature. Il travaillait à les développer, aux côtés de la blonde Ornemaline, qui pour sa part fascinait les elfes par la puissance de son potentiel magique.
Le sourire d'Ornemaline éclairait ses souvenirs, depuis toujours. Il pensa à Nyérëlin, il pensa à Othar. Il pensa à l'elfe qui attendait aux cavernes, dont le corps n'avait pu être enseveli.

Méditant, son esprit se liait à la forêt. Il écoutait battre le cœur de la forêt. Chaque vie résonnait en lui. Il écoutait le brin d'herbe et le chêne immense, l'ours et le loup au loin. Et la pierre dont la puissance ancestrale enveloppait la vallée, communiait avec son esprit, concentrant en elle l'amour millénaire de son peuple pour tout ce qui vit, pour cette forêt. Elle lui transmettait le trésor qu'elle recelait, qui lui avait été confié par la magie des premiers elfes ici, jusqu'à ce jour. Elle en était à la fois le vecteur, et le porteur. Elle était au centre du cercle, de la toile, au centre du pouvoir de Nan-lossëa.
A son tour, comme tant avant lui, Winëwalya laissait une empreinte, une partie de lui pour la pierre, pour les elfes qui suivraient.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 30 janv. 2010, 02:37
par Din_beleg
Liltë, lindë, lenwë, une danse, une chanson, un départ.



Les hommes partirent à cette période, menés par Achour. Ils furent guidés sur l'autre rive de la vieille rivière et sortirent enfin de la forêt, vers l'Est.
Avant de partir, Othar et Achour parlèrent une fois encore. Winëwalya ne sut sur le moment ce qu'ils se dirent, mais il croisa le regard de l'homme avant qu'il rejoigne les siens à grands pas. Et il n'oublia pas ce regard, noble et dur, serein et farouche.
Né peu avant le suicide de Fingel, Winëwalya avait été élevé et formé par des elfes marqués par la déception et le scepticisme à l'égard des autres peuples et bien sûr des humains auxquels ils attribuaient toute la responsabilité de ce qu'ils qualifiaient de trahison.


...


Ornemaline et Winëwalya, le regard chacun plongé dans le regard de l'autre, ne disaient rien, ils souriaient. Trempés tous deux par la pluie fine qui tombait depuis le matin, ils semblaient ne rien voir, ne rien entendre. Aveugles et sourds à tout ce qui n'était pas l'autre, ils respiraient, assis dans l'herbe, sous leur arbre. Le léger vent d'été faisait doucement danser autour d'eux les fleurs fanées des arbres environnants, comme le lent ballet d'une neige blanche et rose.

Ils n'étaient plus des enfants, ils semblaient certes aux yeux des mortels humains n'avoir pas plus de vingt ans, mais chacun avait déjà vécu une bonne vie de mortel. Et leurs mains liées, brûlantes, communiquaient bien plus qu'un amour enfantin. Leur amour avait grandi en même temps que leurs corps, se chargeant d'un désir qui n'entachait en rien sa pureté. Leurs esprits s'étaient joints bien avant leurs corps. A leurs yeux comme à ceux de la communauté, leur mariage ne ferait que fêter dans la joie de tous, un amour puissant, inscrit dans leur nature même.
Il l'attendait avec son impatience coutumière, elle le laissait venir avec sa calme aisance habituelle.


...



Nyérëlin vint un matin rejoindre Winëwalya sous le Laírelossë. Ils parlèrent une nuit entière des chants de Winëwalya, des poèmes qu'il dirait le jour de la cérémonie, devant le Conseil. Nyérëlin trouvait tout cela bien sérieux, il apprit donc une nouvelle comptine à son jeune ami.


« Perdu dans l'immensité blanche,
Incapable de retrouver son chemin,
Il croyait ne pas voir demain,
cerné par de terribles avalanches.

Dans les neiges des terres du sud,
Ce petit farfadet de vert vêtu,
Voulait survivre, il était têtu.
Mais le vent, le froid si rudes,

De ses forces avaient raison.
Épuisé, n'en pouvant plus,
Par terre, sur le sol à demi nu,
Pensant ne pas revoir sa maison,

Il s'étendit, paupières closes...

Une caresse poilue, une odeur,
Autour de lui enfin la chaleur
Il ne perçoit qu'une lueur rose.

Ainsi le farfadet affaiblit,
D'une longue torpeur émergeant
Encore dans un état affligeant,
Croit déjà être au paradis.

Il gémit, ouvre un œil, puis deux,
Horreur, qu'est cette terrible forme ?
Blanche, puante, et... énorme !!!
Oh ! C'est un yéti, grand et hideux !

Mais le yéti avait le cœur tendre,
De la solitude étant lassé,
Le farfadet qu'il avait ramassé,
Ce n'était pas pour sa chair tendre.

Il aurait bien plutôt souhaité,
Avoir près de lui, à ses côtés,
Quelque ami avec lequel papoter.
Le farfadet il l'aurait bien traité.

Cependant celui-ci, croyant être dévoré
Pour l'apéritif de l'affreuse bête ;
Ce farfadet que la peur hébète,
Se recroqueville pour l'implorer.

« O grand yéti ait pitié de moi
Tu vois, je suis tout petit
Je ne suffirais pas à ton appétit »
C'est ainsi longuement qu'il larmoie.

Et pour survivre ne sachant que faire
Doucement il se met à chanter,
Le yéti par la musique enchanté,
Pose ses larges fesses à terre.

Ce que voyant, l'éminent farfadet
Reprenant quelque peu ses esprits
Se dit que peut-être au grand dadais
Il peut échapper grâce à une duperie

Et dans un fol accès de témérité
Il sort de la bourse à sa hanche
Une pincée d'une poudre blanche
Qu'il lance avec une grande dextérité

En plein dans les immenses narines
Du brave yéti qui tout surpris
Sur le coup s'endort l'air ahuri.
Le farfadet bondit, il fulmine,

Il tire de sa ceinture son petit couteau.
Il grimpe en s'accrochant aux poils,
Sur la bête il joue des biscotos.
Ce qu'il veut c'est lui bouffer la moelle !

Il parvient jusqu'à sa puissante gorge,
A force d'efforts monumentaux,
Dans sa fourrure il taille un manteau.
Puis, cruel, dans un rire il l'égorge !

Assoiffé il boit son sang gargouillant.
Affamé il dévore aussi sa chair.
Cela fait il part en se grouillant,
Un yéti ça a peut-être des frères.

Quelle morale tirer de cette histoire ?
Méfiez vous certes des yétis
Car ils ne sont pas tous bonne poire
Mais vous devriez faire gaffe aussi
Aux farfadets que vous ramassez
Car ils auront tôt fait de vous tabasser. »



Ils chantèrent ensemble en riant.

Ils parlèrent tous deux longuement. Nyérëlin s'adressait au jeune elfe comme à un frère, lui qui se protégeait habituellement sous une carapace de sarcasmes. Nyérëlin était un errant, séjournant parfois quelques fingeliens dans une vallée, puis disparaissant et réapparaissant bien plus tard dans une autre, porteur d'étranges chansons, de contes curieux et de nouvelles farfelues, desquelles il était difficile de trier le vrai du faux, son sourire énigmatique n'y aidant pas.
L'Art de l'elfe faisait l'admiration de tous, conteur exceptionnel, musicien hors-pairs, mais son attitude suscitait une certaine distance. Il ne rendait pas de comptes à la communauté, qui ne lui en demandait pas, et son indépendance le faisait étranger parmi les siens.


Lorsque le silence se fit lentement entre eux, Winëwalya comprit et fut envahi d'une profonde tristesse.

L'aurore lentement éclaira le ciel, faisant pâlir les étoiles à l'est. Nyérëlin se leva, sourit de son étrange sourire et partit vers l'ouest sans pouvoir dire un mot d'adieu.





Ornemaline et Winëwalya avaient tous deux médité près de la pierre, ils avaient passé le rituel et ne seraient plus considérés comme des enfants. Ils se présenteraient bientôt devant le Conseil des Anciens et seraient nommés. Ils devaient prendre toute leur place auprès de la communauté.

Les elfes concevaient un grand espoir pour Ornemaline, son savoir et ses talents étaient déjà grands et elle maitrisait de mieux en mieux son pouvoir. Elle serait un appui essentiel lors de l'offensive prochaine. Il était question qu'elle rejoigne par la suite un village Kultar pour étudier auprès de Mages de la Nature de ce peuple. Winëwalya, qui n'était pas encore Gardien, voulait quand à lui se joindre aux défenses le plus vite possible. Les frontières seraient dégarnies par la guerre et on aurait besoin de tous.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 01 févr. 2010, 00:59
par Din_beleg
Mornië, ténèbres.


C'était à quelques jours de la grande offensive au nord. Déjà les Danseurs de guerre et les Gardiens s'étaient regroupés aux frontières de la forêt. Les Curuvari arrivaient à leur tour, Almàrë partirait sur le front le lendemain. Beleg resterait ici, à veiller sur le village. Avec les plus jeunes des Gardiens, ils formaient un large cercle autour des clairières, chacun devant veiller longuement, attentif.

Beleg, accroupit sur une branche haute d'un vieil hêtre, l'arc de guerre posé en travers de ses genoux, respirait le calme des feuilles à peine bruissantes sous un vent léger. Il aurait voulu être sur le front, participer à cette attaque qui devait assurer aux elfes un répit dans le chaos général de cette cruelle époque. Surtout il aurait voulu partir au matin avec Almàrë. Sur sa branche, c'est à elle qu'il songeait.

Le vent léger tomba tout-à-fait, le silence s'installa.
Chaque elfe éveillé frissonna. Beleg, qui veillait depuis plusieurs jours eut froid mais il ne sortit pas de la semi-léthargie qui le rapprochait peu à peu de la méditation. Il songeait à Almàrë, il voulait l'appeler, la faire venir près de lui pour cette dernière nuit. Il lui envoya ce message mental, presque involontairement.

La horde des orques déferla.
Des hurlements déchirèrent la nuit, chaque cœur vivant se sentit transpercé, les elfes bondirent et en un éclair, chacun avec son arc, fut prêt.

Les flèches firent entendre leurs sifflements et en peu de temps les cadavres des orques jonchaient le sol sous les arbres. Mais il en venait toujours. Ils s'étaient avancé loin dans la forêt, bravant les barrières magiques et les pièges vivants. Ils étaient animés d'une folle rage, éclairés d'un feu magique. Mais la pluie drue des flèches précises ne leur laissait aucune chance. Devant le nombre des assaillants, les elfes luttèrent sans répit. Certains durent descendre des arbres pour faire briller l'acier, brièvement. Les ronces, les racines, les fourrés d'épineux surent harceler les jambes des odieuses créatures, les étouffer quand elles tombaient lourdement. A l'aube, c'était fini, les elfes n'avaient pas laissé un orque vivant.
Ceux-ci n'avaient pu atteindre les clairières du village, mais leurs cadavres souillaient le sol autour. Au plus fort de l'attaque, les elfes avaient lutté contre une sombre magie, un chaman était venu, derrière les orques, protégeant leur avancée dans la forêt. En fouillant avec dégoût son cadavre, ils trouvèrent une pierre verte zébrée de noir. Comme une feuille dont les veines auraient été abreuvées de sang au lieu de sève.

Les Gardiens se comptèrent, regagnèrent les postes avancés, envoyèrent un messager aux elfes à la lisière de la forêt.
Beleg regagna le village. Pas plus que les autres sentinelles il n'avait décelé l'avancée du détachement orque. Il lui semblait avoir été comme éveillé par leurs cris.

Alors qu'il marchait lentement, encore tremblant, respirant profondément, épuisé par cette terrible nuit, Beleg vit un groupe sur le chemin de la clairière Ûr. Des elfes étaient courbés, en cercle.

Lorsqu'il s'approcha ils s'écartèrent, silencieusement.

Une forme blanche était étendue là.

Une tâche rouge au cœur, Almàrë gisait sans vie. Beleg sombra dans les ténèbres.

Re: L'Arc et la Lyre [inachevé]

Publié : 02 févr. 2010, 00:11
par Din_beleg
I ránë, l'errance.

Beleg traversa les terres dévastées des Landes comme une ombre qui fuit devant une ombre plus grande. Les villes sales et populeuses voyaient à peine passer cette silhouette légère, encapuchonnée sous une pelisse vert sombre, cheminant seule, courbée, sans s'adresser à quiconque.
Beleg traversa des terres où rugissait la guerre et rôdait la famine. Les bandits et les criminels de toutes sortes régnaient sur la plupart des routes, mais ils l'approchèrent rarement, pressentant le peu de butin que cette ombre décharnée leur procurerait. Il s'écarta des forêts et ne croisa que peu de gens de son peuple. Il ne les salua pas. Il marcha dans la poussière, sur le sable et sur la pierre, dans la boue des marais et sur la glace des terres gelées. Il passa des montagnes et contourna des forêts. Il longea de grands lacs et traversa des rivières profondes ou des torrents furieux.

L'ouest cardinal, comme un poignard ensanglantant le monde au soir, dirigeait seul ses pas. Nyérëlin était parti par là, c'était le chemin qui menait aux blancs rivages de Valinor. Beleg leur tournait donc le dos, se trainant vers le levant.
Comme étouffé par un poids immense, Beleg avançait, sa honte sur les talons, vide, éteint, désespéré. Il ne pensait pas mériter le repos en Valinor.

Il marchait vers la grande mer centrale.
Longtemps il avança ainsi. Longtemps aucun mot ne passa ses lèvres. Parfois il sombrait dans un puits sans fond, malade de son malheur, rongé par une rage impuissante.
Étouffant de colère, de honte, il brisa un jour sa lyre d'argent. Assit sur une pointe rocheuse dominant la mer, il contemplait l'ouest et savait qu'il ne pouvait le rejoindre. Il ne pouvait se présenter aux vastes cavernes de la longue attente. Il se leva et sans un cri, sans un mot, les yeux secs, il frappa la roche avec sa lyre par trois fois, de toute sa force. En se brisant elle gémit, les cordes sifflèrent.
Il jeta les restes au loin.
Et jamais il ne put se le pardonner.
Il avait su la faire chanter pour allumer la joie ou la mélancolie dans le cœur des siens. Winëwalya savait faire rire Ornemaline avec sept cordes, quand les jours étaient heureux encore.

Pendant longtemps Beleg oublia tout cela. Ne restaient que la mort et la tristesse en son âme. Toute joie en avait été bannie.

Vint un printemps pourtant où il releva la tête. Regardant plus haut que le bas de son capuchon, il revit les étoiles. Il vit le soleil se lever lentement. Il vit quelques fleurs lutter contre le vent sec. Il vit un arbre rabougri sur le bord d'un champ pierreux. Il aperçut une biche fuyant dans un sous-bois dormant.
Il n'avait pas vu le temps filer, ni courir la route sous ses pieds. Il lui semblait s'éveiller lentement d'un cauchemar millénaire.

Beleg continua sa route, toujours évitant les elfes et la forêt cependant. Il se dénicha une mandoline et joua pour trouver une place auprès des feux des salles d'auberge, ou sur la route.
Il ne chantait que de pauvres chansons populaires en langue commune, aucune des chansons de Nyérëlin ne pouvait franchir ses lèvres.
Se méprisant lui-même il en oublia de mépriser la lie des Landes, pouilleux, miséreux, voleurs, fuyards sans espoirs qui comme lui erraient sur les chemins tortueux de ces terres misérables.
Il se mêla à cette faune étrange qui longe les routes menant aux côtes de la mer centrale. Les races confondues s'entremêlaient, se rencontrant à peine, renégats et bannis de tous peuples. Les ports le long de la mer étaient en cela tous semblables. Quelques rares navires partaient pour les Iles maudites du milieu. Beleg écouta souvent les récits et les vantardises de ceux qui prétendaient en revenir. Il ne chercha guère à démêler le vrai du faux, mais lentement une graine de curiosité germa en lui.
Souvent il scruta l'Est, dominant la mer immense de quelque falaise, troublé par cette vision brumeuse d'un horizon courbe si lointain qu'on ne sait plus si le monde s'achève derrière.

Si son errance devait trouver un but enfin ? Puisqu'il estimait n'avoir pas acquis le droit de mourir, de retrouver Almarë, pourquoi ne pas se battre, quelque illusoire et ténu soit le fil d'un tel destin ?

Une nuit qu'il marchait près d'un bois touffu et bruissant, attiré par ses parfums, il s'enfonça sous les arbres. Il marcha un moment sur l'humus souple, envahit d'une soudaine quiétude. Des elfes avaient passé quelques temps ici. Il marcha jusqu'à ce que plus loin il aperçut une flamme dansante entre les arbres. S'avançant vers la clairière, il ne fuit pas comme quelquefois il l'avait fait, percevant les siens.
Il entendit le son d'un luth dont on commençait à gratter les cordes. Une voix légère et joyeuse s'éleva :

« Perdu dans l'immensité blanche,
Incapable de retrouver son chemin,
Il croyait ne pas voir demain... »


Beleg, l'esprit perdu, s'avança en titubant sur le sol herbeux et doux de la clairière. Les elfes, surpris, esquissèrent un geste de défense, puis, reconnaissant l'un des leurs, l'entourèrent de gestes tendres et de paroles amicales. Ils s'adressèrent à lui en leur langue « Alatúlië hàno, hiruvalyë i erdë har emmë ». Ils l'aidèrent à s'asseoir près du feu. Beleg ne pouvait encore parler, mais lentement il sourit aux siens.

Re: L'Arc et la Lyre [achevée]

Publié : 15 févr. 2010, 21:13
par Din_beleg
hrp/
Petit glossaire des mots elfiques utilisés:

Le langage elfique employé est du quenya, une langue inventée par Tolkien. Certaines formes ne sont peut-être pas exactes, je les ai extrapolées à partir de l'existant, en particulier pour former les noms propres (désolé pour les puristes).


Alarca : rapide, (la messagère)
Almàrë : de bénédiction (Ornemaline après la cérémonie)
Amuntëndil : l'ami du levant, (l'ancien guide)
ar : et
atani : hommes
Atarincë : petit-père, (le vieux lutin)
curuvari : mages
helyanwë : arc-en-ciel
hrívë : hiver
i : article (le, la, les)
laírelossë : neige d'été, nom d'arbres aux fleurs blanches
lassi : feuilles
lenwë : un départ
lindë : une chanson
mirûvor : une sorte d'hydromel
mornië : ténèbres
nan-lossëa : la vallée blanche
Nyérëlin : de chagrin, (le musicien)
ondo : une pierre
Ornemalin(e) : arbre portant des fleurs jaunes
Othar : de guerre, (le mentor)
pilin : une flèche
ránë : errance
riltë : une danse
rindë : un cercle
salma : la lyre
sirpi : racines
Tíriel : de garde, (le chef des gardiens)
ûr : feu
Winëwalya : petit agité
yanta : pont

« Alatúlië hàno, hiruvalyë i erdë har emmë » : Bienvenue frère, puissiez-vous trouver le repos près de nous.





(Bon nombre de corrections ont été apportées, merci à toi Feydreyah, la chronique est achevée)