[V] Nattes, histoire d'une Sinane. [Terminée]

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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Nattes
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[V] Nattes, histoire d'une Sinane. [Terminée]

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Nattes s’asseyant devant le feu de camp, en face de vous, scrute votre regard de ses yeux argentés. D’un geste, elle entame la conversation que vous trouvez fort plaisante en sa compagnie. Vous en venez à discuter des raisons de votre arrivée à Draïa, et, après lui avoir raconter en détail votre ancienne vie, elle décide de vous faire part de la sienne.

« A mon tour maintenant, de vous conter une partie de mon passé… Pourquoi une partie ? Parce que je n’aurais sûrement pas le temps de tout vous dire en une journée, et parce que j’ai aussi d’autres affaires qui m’occupent en ce moment… Mais là n’est pas la question. »

CHAPITRE PREMIER : La nouvelle.

« Ma vie semblait paisible et enviable aux milieux de la Région de Roche. J’habitais un fort beau manoir fait de pierres blanches et soignées de diverses inscriptions. Chaque porte d’ébène était entourée de précieux médaillons taillées avec soin. Ma famille et ses domestiques étaient protégés par de forts remparts de bois renforcés à l’extérieur de la demeure. Nos vastes jardins, si bien entretenus, suscitaient la curiosité de bon nombre de Sinans, qui, intrigués par cette imposante verdure, s’arrêtaient devant les grands portails de fer travaillé qui permettaient l’entrée à l’intérieur des fortifications.

Vous allez sans doute vous demander d’où pouvait bien provenir toute cette richesse. Il se trouve que mon père, Mughran de Sinnyn, faisait partie des sept du conseil de notre splendide ville nommée Verlarian.
Mes grands parents paternels ne faisaient partie d’aucune des trois gildes Sinanes, par conséquent, mon père fût soumis, à sa naissance, à diverses épreuves aussi terribles les unes que les autres pour déterminer son appartenance à une des gildes. Bien fort heureusement, il passa avec une grande facilité toutes les épreuves, et devant un tel prodige, les dirigeants et suppléants des trois gildes se réunirent afin de trouver un terrain d’entente concernant le nouveau né. Évidemment, aucune des organisations ne voulut céder à une autre l’étrange enfant. Finalement, il fût décidé qu’il deviendrai plus tard l’un des sept conseillés, sans pour autant appartenir à une gilde, mais ayant une influence importante lorsqu’il s’agirait de prendre des décisions.
Cette influence lui value la mort, sa mort, son déshonneur, et celui de sa famille.

En une sombre journée d’Illumen, à mon dix-septième Fingélien si je me souviens bien, Mughran fût amené à réunir, en urgence, les six autres conseillés et le Seigneur de Verlarian. La réunion devait porter sur une éventuelle guerre envers les peuples Eldorians voisins.

En effet, Verlarian se trouvait au carrefour de trois peuples ; nos alliés, les Galdurs, nos ennemis, les Eldorians, et nous, les Sinans. Encerclée de falaises abruptes d’une part, et d’un fleuve à fort courant d’autre part, notre ville semblait imprenable. Ces frontières naturelles nous étaient bien utiles, notamment pour le commerce de pierres précieuses et minéraux qui étaient la principale ressource de notre peuple. Nous pouvions extraire, grâce à la force des Galdurs qui partageaient ces roches avec nous, les matières premières, puis nous les façonnions suivant la demande des villes Galdures plus retirées, qui appréciaient notre art. Nous transportions ensuite les objets prêts à être vendus sur le fleuve bordant notre frontière, mais également celle des Galdurs et… Eldorians.

Nous avions intérêt à bien nous entendre avec ces derniers bordant la frontière, sinon, nous pouvions dire adieu à nos affaires… Ils étaient capable de nous bloquer l’accès au fleuve ! De plus, traverser les nombreuses lieux de roches puis de désert Galdur n’était pas une excellente idée, il aurait fallu prévoir une telle expédition des Fingéliens à l’avance !
C’est justement à ce propos que mon père Mughran fût appelé à converser.

Le conseil avait eût écho de la tension qui augmentait entre les allées et venues des Sinans et le peuple Eldorian depuis très longtemps, mais aucune mesure avait été prise. Seulement, un jour, la gilde des Assassins proposa d’envoyer des espions Sinans pour s’informer de la situation en terres Eldoriannes. Mon père fût contre, pensant que si les émissaires étaient reconnus, la guerre entre nos peuples était assurée. Mais sa voix comptait peu, car les autres représentants et le Seigneur de Verlarian trouvaient l’idée bonne.

Ce jour d’Illumen, à mes, je pense, dix-septièmes Fingéliens, Mughran reçu de la part d’un jeune rescapé de l’expédition un parchemin tâché de sang. Je l’entendit le lire, à haute voix dans son cabiné, cachée derrière la haute porte qui nous séparait. Je peux donc vous dire à peu près le contenu de ce parchemin, mais sachez qu’il est fort possible que je ne puisse vous le réciter mot pour mot.
 »

Nattes prend un air plus grave, plus sérieux, et ses yeux, qui de tant à autre brillaient par le vacillement perpétuel de la flamme consumant peu à peu le bois, se mettent maintenant à étinceler laissant dévoiler son sentiment de tristesse profonde… Du moins, c’est ce que vous pensez comprendre.
D’une voix un peu changée, elle poursuivit son récit :


«
Seigneur Mughran de Sinnyn, sage conseillé de Verlarian, je vous inscris ici mes dernières pensées…

Si vous pouvez lire ces quelques lignes qui me reste encore la force d’écrire, c’est que mon fils qui vous les apporte est en vie. Qu’Erham guide ses pas et qu‘il lui accorde un meilleur destin que le mien…

Les premiers jours de notre expédition furent sans encombre, mais très vite quelques uns de mes frères se mirent à profiter d’Eldoriannes un peu saoules… Leur tempérament d’assassin ressortit, et ils finirent par sacrifier, d’abord dans l’ombre, les femelles qui risquaient de nous dénoncer. Leurs réels amants finirent par se rendre compte de la supercherie, et nous fûmes découverts.

Tout leur village se mit à nous pourchasser, cherchant quelconque Sinan encore vivant… Bien entendu la nouvelle ne tarda pas à se répandre, et ce sera bientôt des dizaines de villages et villes Eldoriannes qui se lanceront à l’attaque contre notre peuple. Il ne faut pas être de l’aristocratie pour comprendre ce que nos ennemis préparent… C’est la guerre assurée…

Il est certain que nous avons failli à notre mission, mais je me sens cependant un peu moins concerné que mes frères car contrairement à eux, je n’ai tué personne, ni profité de ces répugnantes femelles… Mon honneur reste tout de même grandement touché, et puis, la mort ne me fait pas peur. Mais j’ai tout de même souhaité échapper à ses étranges humains dans le but premier de sauver mon fils, jeune membre de la gilde. J’en viens à être épuisé, et l’heure, les minutes de mon trépas approchent à grandes enjambées…

En espérant que ces quelques mots vous serviront à prendre au plus vite une sage décision,

Tyrnor de…
C’est alors que mon père c’est arrêté de lire, sans doute parce que la signature avait été interrompue par la mot de l‘auteur, ou parce qu’il en avait déjà trop lu…
Je le vis prendre sa belle cape noire, enfiler ses gants de cuir, et partir en toute hâte, oubliant même ses armes, au grand conseil.
 »

Nattes s’interrompt une nouvelle fois pour vous faire remarquer le levé du soleil en le pointant délicatement du doigt. Lentement elle se lève, puis vous salut, reportant ainsi la suite du récit à une autre fois, car elle est emprise à la fatigue. Avant de se retourner pour se retirer, elle vous adresse un curieux regard, un doux sourire, que vous assimilez cette fois ci à de l’amitié. Allez donc savoir…
Dernière modification par Nattes le 25 janv. 2009, 12:25, modifié 3 fois.
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Nattes
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Message par Nattes »

Nattes assise paisiblement dans un coin de la taverne, déguste, tout en vous observant, le vin aux reflets vermeils. Agacé(e) de tant d’attention, vous vous approchez et la saluez, espérant avoir enfin une bonne raison pour être ainsi regardé(e). Elle vous rend votre salut, d'une manière plus noble cependant, et après avoir affiché son délicieux sourire habituel, elle déclare :

"J'étais persuadée que vous finiriez bien par approcher, mais cela importe peu... Vous souvenez vous de moi, Seigneur/Dame (rayez la mention inutile) ? Je vous avais conté le récit de mon passé, du moins, une courte partie..."

Nattes marque une pose, et vous en profitez pour reprendre votre souffle, espérant que l'écouter ne vous prendra pas plusieurs Fingéliens... Apercevant dans votre regard une certaine inquiétude, elle sourit malicieusement et vous propose un rafraîchissement.

"Bien, je vais donc, si vous me le permettez, poursuivre mon histoire..."

CHAPITRE DEUX : Assassinat.

"Avant de nous quitter, la dernière fois, je vous parlais de ce jour qui bouleversa ma vie, de mon père qui fût emporté dans une grande colère lorsqu'il apprit que l'idée contre laquelle il s’opposait n'avait pas fonctionné, ce qu’il avait d'ailleurs prédis...

Mughran n'informa personne de son départ, tant il fût pressé de régler cette affaire, mais il pris tout de même le temps d'envoyer six messagers aux autres conseillés pour les prévenir de la situation. C'est justement grâce à ces messagers, et aux diverses informations que j’ai récolté durant mon enfance, que je peux maintenant continuer mon récit, sans cela je n'aurais bien entendu pas pu vous conter les péripéties qui vont suivre.

D’après mes sources, mon père se rendit au conseil, et sa mine non-réjouie fit frissonner la salle. Je me souviens que très peu de mes parents, mais, ce dont je me rappelle le mieux, ce sont les vives colères de mon père… Rien, ou presque, ne pouvait apaiser son courroux. Les délicats baisers de ma tendre mère, Lebrylla de Synnin, arrivaient parfois à le calmer… et encore…
"

Nattes prend le temps de soupirer entre deux gorgées de vin, sans doute pour mieux vous faire digérer son discours. A force d’observations, vous remarquez son regard froid, la fermeté de son visage mesurée par ses traits fins. La conteuse semble chercher à vous étourdir de ses mots pour vous plonger dans son récit, se servant de la profondeur de ses yeux comme d’un tremplin pour atteindre un tout autre monde… Chacun des sons prononcés parcourt la taverne d’un écho presque inaudible, pourtant ce murmure appuie ses paroles d’une certaine sûreté. Aptitude innée ou comportement artificiel ?
Nattes repose délicatement son verre, et de ce geste, met un terme à vos rêveries.


Pardonnez moi, c’est que j’ai bon nombre de choses à vous dire… Reprenons donc à l’arrivée de mon père au conseil.

Il ne fût pas même installé qu’il commença déjà à blâmer les autres seigneurs ainsi que le Roi de Verlarian. Comme je vous l’ai précédemment dit, sa forte tête et son puissant caractère ne redoutaient rien… Malheureusement…

Mughran déclara qu’il en avait assez de s’adresser à de pareils imbéciles et qu’il fallait au plus vite prendre une sage décision pour ne pas tomber dans la crise économique. Il proposa également de pacifier le secteur par divers moyens pour éviter la guerre.

Les chefs et suppléants des gildes lui riaient au nez, car, pour eux, il était évident que la question ne se posait même pas ! Choisir entre la paix ou la guerre, de plus contre un peuple ennemis, c’était de la folie… Selon eux toujours, ce serait même le déshonneur des Sinans d’aller s’excuser auprès de ces “ résidus de la race humaine ”.

Mon père, hors de lui, sortit de la haute salle afin de prendre l’air et de réfléchir au piètre futur qui s’annonçait… Il aurait du se préoccuper de sa propre personne, plutôt que de la situation de Verlarian… Il aurait, probablement, fait un excellent Roi. Cependant, il n’en a pas été ainsi…

Les conseillés se mirent, en son absence, à chercher une solution pour se débarrasser de lui, plutôt que de débattre sur l’avenir de la cité et les mesures à prendre… Ah ! Médiocres conseillés que voilà… Ils décidèrent finalement que mon père devenait trop influent auprès du peuple pour le laisser en vie. On maquillerait sa mort comme l’œuvre de la tuerie d’Eldorians enragés, de cette manière, on ferait une pierre deux coups en motivant le peuple Sinan à se soulever.

Mughran se trouvait en bordure du fleuve, cueillant les idées, classant les solutions ; l’air humide avait apaisé son esprit. Pendant qu’il méditait, les lâches avaient déjà complotés…

Il fût surpris, lorsqu’il se retourna, de se trouver encerclé d’assassins près à l’exécuter. Gardant son calme nouveau, il fit un long regard circulaire pour mettre un nom sur les inconscients qui s’attaquaient à lui. Lorsqu’il eût finis son observation, il se mit à rire :

Ah ! Pauvres de vous… corrompus, vous perdez toute votre raison. Vous êtes donc prêt à tuer l’homme qui a le plus œuvré pour Verlarian ? Mais venez donc ! Je ne suis pas couard, la mort par vos sabres ne me fait pas peur… Voyez vous, mon honneur en restera intact. Je n’oserais même pas imaginer ce que pourrait être celui-ci, à votre place. Un honneur irrécupérable, une gloire passée décomposée par un tas de piécettes à l’effigie de notre Noble Guide Erham. Écoutez, misérables ! Si vous aviez fait preuve d’un peu plus de bon-sens, vous auriez très bien pu m’informer de ce qui se préparait… Sachez que vous auriez été couvert d’or… Ah ! J’entend des soupirs ? Imbéciles que vous êtes… ma mort ne vous atteint point, seul la maigre bourse, qu'on vous a offert en échange de ma vie, peut fissurer quelque peu votre cœur de pierre… Qu’allez vous donc faire de cet argent lorsque les lames de chevaliers Eldorians vous auront transpercées ? ! Réfléchissez y bien ... Je laisse maintenant Erham guider mon trépas. ”
Une fois ces paroles terminées il fit un regard, puis un bref signe de tête en direction d’un des assaillants. Celui-ci feignit de s'approcher pour porter à Mughran le coup de grâce, mais, il se retourna vivement, enfourcha un destrier, et partit à vive allure. Aucun ne comprit ce comportement si soudain, à l'exception de mon père. Pourquoi ? Car c'était bien lui qui, de ses yeux foudroyant, avait ordonné à cet "assassin" de s'enfuir. En vérité, il s'agissait plutôt d'un homme de confiance engagé depuis fort longtemps par Mughran. Vous devez penser que mon père était plutôt prévoyant. Bien heureusement pour moi, d'ailleurs... Sans cela, je ne serais que poussière à cette heure...

Mon père fût courageux, il laissa ses frères s'approcher, puis s'assit devant eux. C'est alors qu'ensemble les assassins lui portèrent une multitude de coups. Ce n'était bien sûr pas nécessaire, puisque Mughran se rendait, mais leur folie attisée par le sang les emporta dans une rage démesurée... Il tomba, mort, sur la roche abandonnée, se vidant de son sang dans l'eau du fleuve sacré. Les meurtriers invoquèrent quelques aigles qui firent festin des entrailles de mon père.
"

Nattes vide lentement le contenu de sa coupe, observant les quelques gouttes de vin rescapées qui en ornaient le fond, d'un air mélancolique... Il fait maintenant nuit, et la lune brille au milieu du ciel nuageux. Une brève lueur, s'échappant de l'épaisse couche d'ombres dansantes, traverse la taverne et éclaire le visage de la Sinane qui jusqu'alors se fondait parfaitement dans l'obscurité. Seule sa voix, calme et douce, vous trace le sombre chemin menant à ses lèvres.
Elle soupira, doucement, paisiblement, un soupir long et froid, celui qu'on effectue mille fois en repensant toujours à la même chose, celui qui, à force d'être poussé, ne fait même plus ressentir de tristesse, mais une profonde solitude. Vous ressentez un court frisson, et écoutez le silence.
Nattes le rompit, reprenant la parole :


"Je remet encore la suite à une autre fois. Il se fait tard, et je me sens fatiguée..."
Dernière modification par Nattes le 25 janv. 2009, 12:27, modifié 1 fois.
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Nattes
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Message par Nattes »

Assise sur le rebord d‘une fontaine, contemplant son reflet dans les eaux, Nattes parcourt de sa main le liquide précieux, emprise à de froides pensées.
Vous l’observez d’abord, l’abordez ensuite, et d’une manière plus amicale qu’à l’accoutumé, vous la saluez. Elle vous invite à prendre place à ses côtés, puis vous annonce d’une voix douce et mesurée :


« Je suis ravie de vous revoir, j’espère ne pas vous avoir trop retenu(e) l’autre soir… Il se faisait tard, et je n’ai pas vu le temps passer en votre compagnie. Je dois vous avouer qu’il est très plaisant de vous faire le récit de mon passé, même si pour vous ce doit plus être une perte de temps qu’autre chose… »

CHAPITRE TROIS : La fuite.

« Vous souvenez vous de mes dernières paroles ? De l’intervention d’un homme de confiance avant la mort de mon cher père ? Sachez que cet homme a un rôle très important dans mon récit, et c’est pour cette raison que je vais vous donner son nom.

Nous le nommions Hedrilith, mais je suppose que pour des raisons de sécurité ce ne devait pas être son réel nom. En effet, Hedrilith accomplissait toutes les tâches que mon père lui confiait, même les plus sombres… C’était un bel homme de forte carrure, grand et pâle. Ces longs cheveux noirs, qui lui tombaient de part et d’autre du visage, accentuaient son air sérieux et quelque peu sévère. Cependant, il n’en était pas moins sympathique et mon père appréciait beaucoup sa compagnie.

En ce jour d’Illumen qui bouleversa ma paisible vie, Hedrilith apparu à bout de souffle devant l’entrée du manoir. Nos domestiques lui ouvrirent la lourde porte, et Lebrylla lui fit un chaleureux accueil. Cachée derrière sa longue cape de velours et les replis de sa robe, j’écoutais sagement. Le Sinan semblait ne pas prêter attention aux excentricités de ma mère, et déclara :


« Pardonnez moi, noble Dame, de venir à votre rencontre sans excellente nouvelle à vous conter… Je ne voudrais point vous blesser, ou vous voir embarquée dans de funestes tourments, je vous prie donc, ô sage Lebrylla de Sinnyn, de bien vouloir m’écouter sans trop vous affoler… »

Je sortis alors de ma cachette, intriguée plus que jamais, pour le saluer avec naïveté et excès. Il me prit dans ses bras, me serra tendrement, et m’ordonna de rester tranquille jusqu’à ce qu’il ait finit de parler. Puis il reprit :

« Dame, je reviens du sombre lieu où votre époux, le brave Mughran de Sinnyn, s’est fait exécuté par une dizaine d’hommes. L’ordre a été donné par les six autres conseillés qui, agacés du pouvoir que possédait Mughran, ont jugés sage de le faire taire à jamais… J’étais présent lorsque les assassins s’apprêtaient à l’occire, et c’est à ce moment qu’il m’a fait signe de m’enfuir vous alerter. Si j’en crois mes informateurs, il y a de fortes chances pour qu’une centaine d’hommes, déguisés en Eldorians, viennent brûler vos biens et… votre famille avec. Ils ne veulent laisser personne vivant, surtout pas votre jeune et charmante fille, car étant votre seule enfant, si elle se marie, son époux pourrait revendiquer la place au conseil qui devrait lui revenir de droit. »

Ma mère frissonna, je ressentis sa profonde tristesse, le malheur qu’une curieuse destinée lui avait tracé. Elle ne pleura pas, ne laissa aucune émotion s’afficher sur son somptueux visage, mais étant la chair de sa chair, la moitié de son sang, la vie m’étant offerte par sa bonté, je comprenais tout ce qu’elle cachait, et finalement, c’est moi qui me mis à pleurer… Cependant, je n’analysais pas la gravité de la situation dans laquelle nous étions plongés. Nous allions mourir, nous et notre famille, en laissant comme souvenir une vaste étendue de charbons ardents, restes d’une existence d’allégresse passée, d’aisance et de plaisir. Tout cela était finit, maintenant et à jamais, à cause de la volonté de six hommes, à cause d’une divergence d’opinion… Le même homme qui avait offert à ma noble mère tout ce bonheur et cette fortune fût à l’origine de notre déchéance, de notre perte… Je voulais le haïr, le détester, comme font les enfants quand ils ne savent sur qui rejeter la faute lorsqu’ils sont dépassés par les évènements. Ma mère tenta en vain de me rassurer, et prononça le plus calmement qu’elle put, même si la situation ne lui permettait pas vraiment de le paraître :

« Qu’allons nous donc faire ? Nous sommes perdus… Il ne nous reste plus qu’à nous laisser immoler avec courage… »
« Voyez, avec tout le respect que je vous dois, comment vous réagissez, ma Dame ? Ne nous perdons pas dans de vains discours ! Réagissons, par Erham ! Il le faut… » répliqua Hedrilith.
« Pardonnez moi… Mais comprenez bien qu’il n’est pas facile de ne pas vous montrer combien je souffre… Seul mon trépas pourrait me soulager… »
« Ne tenez point de propos aussi terribles devant votre fille ! Vous souhaitez périr, cela est votre droit, mais Nattes, avez vous pensé à son avenir ? Allons, cessons…
Votre manoir est bien protégé, c’est d’ailleurs avec mon aide que votre défunt époux en a construit les plans. Vous possédez bon nombre de domestiques et une défense personnelle. Je vous propose de sortir toutes vos armes et de vous préparer à défendre vos biens ! Afin de ne pas mettre votre vie en danger, ni celle de votre fille, vous pouvez utiliser une des nombreuses cachettes dont seuls votre mari et moi même avions la connaissance. »
« Non, ce serait faire preuve de couardise que de renoncer à me battre. Par contre, j’accepte que ma fille emprunte cette cachette, comme vous dîtes, mais seulement si celle ci est bien sûre et qu’il n’y a aucun danger. »
« Je vous reconnaît mieux ainsi, sage Lebrylla. Si telle est votre volonté… »


Hedrilith pris par la main ma mère rougissante et l’embarqua dans notre cave. Je les suivais du mieux que mes petites jambes me le permettaient. Il fouillait les murs de ses yeux grisonnants, approchant la torche de chacune des pierres. Enfin, dans un coin noir et retiré de nos souterrains, il força une des roches ornant le mur, sur laquelle était gravée une petite clef. Une fois l’opération effectuée, le mur se déplaça lourdement, lentement, et laissa place à un couloir dont on ne voyait pas le fond. Il murmura, fier de sa réussite, comme si c’était la toute première fois qu’il découvrait ce passage :

« Au bout de ce long couloir se trouve une échelle et une trappe qui mènera votre fille à l’extérieur de vos terres. »

Ma mère ne voulait pas me laisser partir seule, et sentant que la menace approchait, elle décida de faire appeler une de ses suivantes, une brave Galdure qui avait un sens aiguë de l’honneur et de la fidélité. Elle lui ordonna de m’accompagner et de prendre soin de moi jusqu’à ce qu’elle vienne me retrouver, une fois l’affaire tassée. Elle lui donna un sac remplit de vivres et une bourses de piécettes, puis m’embrassa sur le front et s’enfuit défendre notre demeure.

Si j’avais su que ce baiser fût le dernier, j’aurais sûrement plus profité de sa présence… Oh ma tendre mère, je t’aimais… Que ta mort me fit souffrir ! Quelle tragédie s’est abattue sur toi ?!
»

Nattes se met pour la première fois à pleurer, et s’appuie sur le bord de la fontaine pour reprendre ses esprits, laissant les larmes tomber une à une dans l’étendue d’eau claire. De nouveau le silence prend place, comme une vague qui se brise, s’étend et se retire, comme un mouvement perpétuel de sons égarés qui finissent toujours par prendre fin. Vous vous sentez touché, la tristesse de son visage vous apporte bien plus que de simples mots. Un soupir, émanant des profondeurs les plus secrètes de l’âme, s’échappe de sa bouche vermeille et se glisse à l’intérieur de votre chair, parcourant tout votre corps, se répandant dans vos veines telle la froideur du poison venant perturber le cœur. Chacun de ses mots deviennent maintenant plus clairs et plus intenses, comme si ses pleurs avaient éveillés votre curiosité :

« Pardonnez ma faiblesse… Mais je crains ne pas pouvoir poursuivre sans laisser paraître mon chagrin… A très bientôt, mon ami(e). »
Nattes de Sinnyn.
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Nattes
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Allongée sur l’herbe que la rosée rafraîchissait, les bras pliés et ramenés derrière sa nuque, Nattes observe les quelques étoiles restantes, les quelques lanternes épuisées par le temps, dépassées par une autre source de lumière, dominées par un astre plus puissant : le Soleil.
Absorbée par la beauté de la nuit se glissant dans la clarté du jour, elle vous semble hors d‘atteinte. Pourtant proche de votre chair, Nattes ne bouge pas. Aussi près soit elle de vous, elle ne vous aperçoit pas, se contentant simplement de respirer sereinement…

Vous n’osez la déranger en pleine méditation, cependant, l’envie de connaître la suite de son récit vous ronge, et vous décidez de faire une ultime tentative d’approche : vous vous mettez à inspirer, puis expirer plus fort, rompant le silence installé.
Ouvrant un peu plus ses yeux qui étaient jusqu’alors plissés, elle balaye du regard les environs, et vous remarque en se relevant, le sourire aux lèvres :


« Quelle heureuse surprise que voilà ! Je quitte mes rêveries, et je vous vois à mes côtés près à écouter la suite de mon histoire. »

Assise en tailleur, la tête penchée en arrière, s’appuyant sur ses bras en retrait, elle regarde une dernière fois l’étoile dominante disperser la brume matinale. Nattes détache finalement son regard, prend une position plus confortable pour se préparer à son long discours, et annonce :

« Je vais donc poursuivre le récit de mon passé, sachez qu’il est très plaisant d’être ainsi écoutée... »

CHAPITRE QUATRE : La traversée.

« Lors de notre dernière rencontre, je m’étais arrêtée à mon départ du manoir. Je vous avais conté l’arrivée d’Hedrilith, homme de confiance et ami de mon cher père Mughran, ainsi que son importance dans ma fuite. En effet, c’est cet homme qui nous a conseillé Lebrylla, ma mère, et moi-même, de nous enfuir avant l’assaut de notre demeure. Ma tendre mère avait alors refusé de m’accompagner, préférant défendre ses biens et son honneur, me laissant aux mains d’une de ses suivantes Galdures.

Je me trouvais alors devant l’entrée du sombre couloir, pas vraiment fière de pénétrer dans un si curieux endroit. A vrai dire, je préférais me préoccuper de la situation de Lebrylla, plutôt que de la mienne. Moi, j’allais vivre. Elle, elle devait survivre.

Je me sentais peu à peu m’éloigner de son sang, ma gorge me brûlait, et nombre de douleurs apparaissaient… J’hurlais son nom, j’hurlais autant que mon corps me le permettait… Je la voyais, au loin, s’enfoncer dans la cave, passer l’échelle puis refermer la trappe. Je recherchais son parfum, humant l’air frais, la croyant revenue par une quelconque magie, la croyant parvenue à exterminer les ennemis, en quelques secondes cela fusse fait… J’en rêvais… J’espérais… J’entendais ses pleurs, et son envie de parvenir, de me retrouver une fois tout terminé, son espoir de réussir… Je savais que si elle ne se retournait pas, si elle ne me parlait pas, ce n’était pas parce qu’elle m’en voulait, mais parce qu’elle savait qu’elle n’aurait pas pu s’en aller en voyant mes yeux gorgés de larmes… Pourtant, je criais que je la haïssais… Ces paroles furent les dernières que j’adressais à ma mère…

La Galdure, las de m‘empêcher de retenir Lebrylla, me gifla avec vigueur, je rougis d’abord et fus irritée qu’une simple servante ose me porter un coup. C’est à ce moment précis qu’ensuite je me rendis compte de la situation : je n’étais plus cette princesse à qui tout souriait, avenir, richesse, et gloire, je devenais une fugitive, une Sinane recherchée, et mes habitudes devaient s’adapter en conséquence.

Je proposais alors à ma tutrice de me donner son nom et de partager ses bagages, afin qu’elle puisse être quelque peu allégée de cette masse qui l’encombrait… Elle se nommait Fedriam. Laissant couler une dernière larme, je décidais d’entamer au plus vite le sombre chemin qui s’offrait à nous. Fedriam fût ravie d’une si rapide et sage décision.

Flambeaux en main, nous allumions les deux premières torches présentes de part et d’autre de l’entrée. La lumière qui s’en répandit, aussi forte fût elle, n’était pas suffisante pour voir le bout du gigantesque couloir. Nous échangeâmes alors un regard, sérieux, discret, complice… C’est alors que nous entrâmes avec fermeté dans la lugubre allée… Je tenais la main de ma gardienne, je pressentais le danger. Peut-être avais-je simplement compris que nous en avions pour des jours de marche et que, pendant ce temps, ma mère se faisait sauvagement assassiner ?

Nous essayons de maintenir une bonne allure, malgré la fatigue qui nous tenaillait, en partie à cause du poids des vivres que nous transportions. Le reste -autant dire la majorité- de notre personne était emprise à de fortes pensées négatives. Comment ne pas se soucier de vos proches qui combattent à mort lorsque vous fuyez lâchement ? Nous faisions cependant de régulières et courtes haltes de manière à allumer les quelques torches disposées habilement le long du couloir.

Fedriam cachait mieux sa fatigue que moi, d’abord parce que cette Dame, je vous le rappelle, était d’une forte résistance de part sa race, et puis ensuite parce que moi, jeune capricieuse, je n’avais pas l’habitude de faire tant d’efforts. Ne voyant pas la lumière du jour, et ne pouvant donc pas juger lorsqu’il était sage de se restaurer, nous nous arrêtions de nombreuses autres fois pour grignoter inutilement… La Galdure n’osait pas, au début, me reprocher quoique ce soit. Elle se taisait. Mais au fil des jours passés ensemble, elle prit un peu d’assurance et osa réprimander la fille de sa maîtresse. Elle me fit comprendre que plus on s’arrêtait, plus on perdait de temps et de chance de revoir ma mère vivante. Je fût de nouveau surprise par cette réaction, et je me mis à rebrousser chemin, seule, dans mon monde égocentrique enfantin, dans ma naïveté de petite fille gâtée. Elle me rattrapa alors, me tira avec force, me gifla, et me prit sur ses épaules. Elle ramassa les quelques bourses, coffrets, et sacs restants, puis les accrocha à sa ceinture, à ses bras, à son cou, partout où le pouvait encore… Fedriam parcourut ainsi des lieux, sans dire mot.

Je vous raconte cela pour que vous compreniez quel genre de personne était-elle. Je pense qu’il est important pour la suite que vous sachiez qu’elle était comme une mère à mes yeux. Peut-être pas encore à l'instant que je vous ai conté, mais, elle commençait déjà à acquérir une petite place en mon cœur… Chaque heure passée avec elle me rapprochait un peu plus, j’apprenais à écouter le silence, à retenir mes émotions, à me contenter de ce que je possède… Tant de choses…

Lorsque nous nous reposions, je faisais toujours des rêves angoissants… Des cauchemars où je voyais successivement mon père et ma mère. Je les voyais si distinctement que j’avais l’impression qu’ils étaient bien réels, en face de moi, qu’ils me regardaient. Parfois, des scènes que j’avais déjà vécues se présentaient à mon esprit et se transformaient en une horrible tuerie… Je me souviens encore d’une de ses gênantes illusions. Elle se déroulait dans une vaste pièce de notre demeure, je ne pourrais par contre vous dire laquelle. Mon bon père, Mughran, s’y trouvait et m’apprenait quelques bonnes manières et attitudes à suivre en tant que fille du plus influent des conseillés. Je me souviens de quelques unes de ses paroles :

« Ma fille, soit fière de ton nom ! Fière de ton peuple ! Fière de ton rang ! De tes ancêtres ! Ne renies jamais ce que tu es. Porte avec noblesse et sagesse le nom « de Sinnyn ». Redresse la tête, bombe ton torse, prouve de quoi tu es capable et ne te laisse pas manipuler par des êtres malfaisants… »
Voici, entre autres, ce que mon père me disait. Moi, je le regardais, avide de ses paroles, j’aimais quand il me rappelait qui j’étais. Et je souriais, naïvement… Lorsque mes amis, ma mère, Hedrilith, nos domestiques et même Fedriam entrèrent dans la pièce… Tous se mirent à s’entretuer sous mes yeux. Même mon père participait à ce spectacle sanglant… Tous furent massacrés. Terrorisée, je n’osais point bouger, enfin, je ne bougeais pas dans mon rêve… Mais pour que Fedriam soit obligée de m’éveiller, c’est que je devais remuer en réalité…

Nous arrivâmes tout de même à notre but, épuisées. Nous n’avions même plus la force de nous réjouir en remarquant la petite échelle en face de nous, donnant l’accès à une trappe étroite. C’était finit, une fois la plaque de bois poussée et nous serions dehors, libres, nous pourrions profiter de l’air frais et des tendres soins de ma chère mère. Je pensais cela, et j’avais tord… Fedriam souhaitait passer la première pour vérifier qu’il n’y avait bien aucun danger. Elle grimpa donc devant, je la regardais faire, admirative. Puis je lui donnais les affaires à remonter, une à une, sans bruit. Finalement se fût à mon tour d’atteindre la surface et l’air pur… Les rayons du soleil me paraissaient bien plus puissants et gênant qu’à l’accoutumée, et je fus aveuglé par tant de lumière. Une fois mes yeux réhabitués à l'éclat naturel de l'astre, j’observais les lieux… »


Nattes s’était emportée et vous faisait divers gestes pour rendre la situation encore plus réaliste, de manière à accompagner son triste récit d’une brève touche d’humour et de comédie. Plus vous l’écoutez, plus vous la voyez sourire, plus ses lèvres rosées vous semblent proches et tristement allongées… Dans quel but ? Susciter la pitié de son interlocuteur ? Non… Elle aurait l’air plus triste, si c’était bien le cas. Cacher sa souffrance sous une fausse gaieté ? Est ce bien là le comportement d’une Sinane ? Vous finissez par vous dire que vous réfléchissez beaucoup trop, d’ailleurs, si vous n’aviez pas pensé à tout ça, vous auriez peut-être eu l’occasion d’entendre ses adieux...
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Nattes
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Re: Nattes, histoire d'une Sinane.

Message par Nattes »

Quelques gouttes d’un liquide épais et vermeil dans la blanche et pure couche de neige matinale. C’est ce que vous voyez. Cette longue traînée rougeâtre vous intrigue, et vous en chercher la provenance, suivant pas à pas les tâches circulaires. Vous arrivez finalement à sa source ; Nattes laissait couler d’une petite plaie à sa main gauche le fluide de vie.
Assise sur un banc de pierre partiellement enneigé, une partie ayant été nettoyée par la Sinane dans le but de s’asseoir, Nattes observe les gouttes s’épancher et épouser les contours de sa main. La plaie, bénigne, n’était en réalité qu’une simple coupure. Le sourire mélancolique s’échappant de ses lèvres rosées vous semble un peu plus accentué, rappelé par la claire couleur du précieux liquide.
C’est alors que vous décidez de l’aborder pour mieux comprendre cet étrange comportement, mais également pour la laisser poursuivre son récit. Elle arbore désormais un sourire radieux :


« Voyez cette belle couleur contraster avec la neige dont le blanc n’a pas encore été souillé par les bottes d’aventuriers peu soucieux du monde les entourant… Je n’apprécie pas particulièrement être blessée, non, mais il se trouve qu’en récoltant quelques roses j’ai abîmé le cuir de mes gants et… Voilà le résultat… De belles égratignures et une profonde coupure à la main. Disons que ce concours de circonstances m’a rappelé quelques souvenirs… »

CHAPITRE CINQ : Meurtre et escapade.

« C’était il y a peu de temps, la dernière fois où je vous ai rencontré. Je suppose que vous vous souvenez où j’en étais restée, du moins, je l’espère pour vous… Car je n’ai pas l’intention de tout vous remémorer. »

La force et l’autorité de ces derniers mots s’opposent au léger sourire régnant sur son clair visage.

« Je venais de sortir, si mes souvenirs sont bons, du curieux tunnel qui m’avait mené à l’extérieur de nos terres. Je n’étais jamais sortie de nos propriétés. En effet, au manoir, je ne manquais de rien… Et puis, nous avions de si vastes étendues en notre possession que si l’envie me prenait d’aller goûter la brise fraîche des Régions de Roche, ce n’était pas la place qui manquait… Je n’avais donc aucune raison de briser cette bulle protectrice m’entourant.

Fedriam et moi patientons dans l’espérance de voir arriver ma mère triomphante. Nous sommes restées ainsi pendant des jours nous gavant de croyances et d’espoir inutiles. Les vivres s’épuisaient peu à peu, et nous étions obligées d’aller mendier chez les proches habitants quelques fruits et légumes qu’ils ne voulaient plus, quelques baies séchées au fond d’un placard, et parfois, dans leur immense bonté, un reste de viande.

La nourriture s’envolait accompagnant dans sa fuite nos rêveries… C’est souvent comme cela que ça fonctionne. On ne croit à rien quand on est riche, parce qu’on possède tout ce que l’on souhaite et les croyances nous semblent stupides. On rêve énormément lorsqu’on commence à avoir faim. On ne rêve plus quand on est pauvre et qu’on crève de faim. Parce que c’est dans ces moments qu’on se rend compte que ça ne sert à rien de croire, de rêver, d’espérer, car la chance a depuis longtemps tournée, et ce n’est pas en méditant pendant des heures que le silence va t’offrir à manger.

C’était un peu ce que me disait Fedriam :

« Lebrylla ne viendra pas. Tu le sais maintenant. C’est fini. C’est inutile que nous restions encore ici à mourir de froid… Inutile que nous nous tordions de faim alors que dans mon village natal je sais que nous serions bien accueillit, et nous pourrions manger à notre guise. Je te propose donc de venir avec moi, Nattes. Je t’emmènerai si tu le souhaites derrière ces montagne, je t‘apprendrai mes coutumes, ma manière de vivre. »

Je ne l’écoutais pas, je voulais voir ma mère. Je souhaitais lui faire un réel adieu, j’avais pris ses derniers regards comme une promesse, la promesse de sa venue… Je la croyais chaque jour plus proche et je disais à Fedriam avec certitude :
« Demain, elle sera là. »
Dès que j’entendais les moindres pas, le moindre bruit pouvant me faire penser à elle, je sursautais et j’hurlais de joie… Pour rien… Pour un animal souvent… Un jour, pour un Sinan.

Ah… Le beau garçon qu’il était… D’une allure imposante et d’une grandeur majestueuse, il s’avançait vers nous. Quand j’eus croisé son regard, j’eus l’impression de ne plus en sortir… Une prison bleutée à l’image de ses yeux m’entourait. C’est alors qu’il nous demanda, avec beaucoup de courtoisie, de galanterie, et un soupçon de charme, ce que nous faisions sur les terres de son père. Désolée, je m’empressais de lui expliquer la situation, enfin, de la manière dont je le pouvais sans donner mon identité… Je déclarais que nous attendions une amie depuis déjà quelques jours, que nous lui avions donné rendez-vous à l’endroit où nous nous trouvions, et que nous avions peur qu’il lui soit arrivé quelque chose. D’une voix séduisante et mesurée il me répondit sagement :
« Jeune Dame, sachez que notre demeure ne se trouve qu’à quelques lieux d’ici. Je vous prie donc de bien vouloir, vous et votre amie, séjourner chez moi quelque temps, au moins la nuit, car il n’est pas prudent de dormir sous les vents glacials de cette saison, et la neige n’est pas réputée pour être une excellente couverture. Vous pourriez ainsi convenablement vous restaurer, et la journée, si vous le souhaitez, revenir ici attendre votre connaissance. »
Fedriam prit la parole :
« C’est bien aimable à vous, Seigneur, que de nous proposer toit et nourriture. Je m’incline devant tant de générosité. Si notre amie n’arrive pas avant trois jours, nous partirons pour la montagne. »
Je n’eus pas le temps de répliquer ; Fedriam me jeta un regard autoritaire.

Trois jours… Trois jours pour retrouver ma mère. Après cela, elle sera considérée comme morte. Voilà ce que je me disais.

Le garçon nous mena à sa demeure, fort belle et haute, faite de pierres claires et dures. L’habitation semblait imprenable, une merveille architecturale. Je me réjouissais à l’idée de bénéficier de soins peu différents de ceux que j’avais connus jusque là. Le jeune homme nous ouvrit la lourde porte d’entrée et nous entrâmes émerveillés… Il n’existait pas une pierre à l’intérieur qui ne fût décorée de gravures ou de joyaux. Magnifique, me dis je. Alors notre hôte nous mena à son père :


« Père, j’ai trouvé ces deux charmantes Dames sur nos terres. Elles attendent une amie à qui elles ont donné un lieu de rencontre dans nos forêts. Tempête faisant rage, je leur ai proposé le gîte pour trois nuits, le temps, m’ont elles dit, que leur connaissance retrouve son chemin. »

« Yradd mon fils, ton comportement est bien là celui d’un garçon de haute lignée, fort bien élevé. Que ces Dames passent donc quelques nuits chez nous, nous avons bien de la place pour un village tout entier ici… A une condition tout de même, je souhaiterai qu’elles nous donnent leurs noms. »


Fedriam prit la parole, en protectrice sûre de ses manigances :
« Mon nom est Meraena, je suis la mère adoptive de cette orpheline que j’ai baptisé Jaeccla. »

« Très bien, enchanté Meraena. Je suis le Seigneur de Sharsir. »


Ce n’était pas pour me déplaire que je suivais les longs cheveux noir d’Yradd. Il était fier, cela se voyait simplement dans son regard. Même son allure, son pas appuyé et décidé sur le sol dallé, prouvait cette certaine assurance qu’il ne perdait en aucune occasion. Le premier amour. Je crois que c’est comme cela qu’on le nomme. Sa simple odeur me faisait oublier la sensation disparue des tendres baisers de ma mère, la mélodie de sa voix résonnait en moi comme un orchestre hypnotisant mes moindres désirs et ouvrant mon cœur de la clef qu’il était le seul à posséder désormais.

Yradd nous montra nos chambres et appela des domestiques pour nous apporter de quoi nous restaurer. Je me régalais. Le premier soir il vint dans la pièce qui m’était destinée pour s’entretenir avec moi, disait il. Il ne fut pas long à m’offrir ses lèvres douces et chaleureuses… Et je ne fus pas longue non plus à lui annoncer la vérité…


« Je m’excuse de n’avoir pu te le dire plus tôt… Mais… Je ne me nomme pas Jae… Jaecl… Jaeccla, oui je crois bien que c’est le nom que m’a donné Fedriam. Ah oui, Fedriam pas Meraena. En vérité, je suis Nattes, Nattes de Sinnyn, fille du Haut conseillé Mugrhan et de la sage et belle Lebrylla. La Dame qui m’accompagne était une des suivantes de ma mère. Mon père fût assassiné il a quelques jours déjà, et des troupes furent envoyées au manoir dans le but de tuer le reste de la famille et de brûler nos biens. Lebrylla me promit de me retrouver à l’extérieur de nos terres, une fois nos biens défendus. »

Yradd se mit alors à sourire. Un bref sourire. Ni tendre, ni doux, ni amoureux, ni admiratif, ou romantique… Un sourire malicieux, en coin, sombre, pleins d’idées refoulées, de funestes manigances. Il me consola. Il m’offrit une multitudes de baisers, cependant, je les sentais différents, hypocrites, intéressés. Je pensais que ça venait de ma peur quant à mon aveux, alors je le laissais faire sans un bruit. Il me dit de l’attendre dans l’entrée, et de m’habiller chaudement en me montrant quelques sublimes étoffes apportées par les domestiques. Je revêtis une longue robe de soie bleue où quelques motifs brodées d’or y était cousus. J’enfilais une cape fourrée d’hermine, chaude et d’une pure blancheur. Je me rendis ainsi habillée à l’entrée.

Là, j’aperçu Yradd qui m’attendais, rayonnant. Il portait sur lui un surcot sombre attaché avec soin par un fermail orné de pierres colorées. Je l’admirais. Il me prit par le main et nous sortîmes sous la neige. Il me prit dans ses bras d’abord avec tendresse, puis avec fermeté, en me serrant fortement. Il murmura :


« M’aimes-tu, Nattes ? »

Aveuglée, je lui répondis que oui.

« Es tu prêtes à mourir pour moi ? »

Intriguée, j’acquiesçais.

« Bien. Alors, considère ces secondes comme les dernières de ta courte existence. Tu es recherchée, partout où tu iras tu seras en insécurité, si c’est moi qui te tue, j’aurais une forte récompense et je deviendrais une personne d’influence au sein de Verlarian. Tu feras ainsi mon bonheur. »

Il sortit une dague d’une lame fine et brillante et la fit glisser de mon menton jusqu’à ma poitrine. Je pleurais en silence en imaginant la suite… Vais je le laisser m’ôter la vie ? Ou dois je au contraire me défendre ? J’essayais de peser chaque chose… En temps normal, cette réflexion m’aurait pris bien des Fingéliens, mais il fallait faire vite, où je n’aurais plus eu l’occasion de méditer sur ces questions…

Je pris le parti de me défendre, et lorsqu’il s’y attendit le moins, je lui arracha la dague d’un geste maîtrisé et réfléchit, et je la retourna contre lui. Il tenta de me persuader que j’allais commettre une grave erreur, et il me jeta nombre de phrases séduisantes mais dont on ne sentait plus la tendresse, simplement la peur d’un homme prêt à tout pour survivre.

Je m’élançais finalement en hurlant. La dague lui traversa le cœur, et paralysa le mien. De sa bouche coulait un léger fil rougeâtre… Une énorme tâche de sang apparue peu à peu sur la neige, éclairée par les quelques rayons de la lune. Je me relevais en criant, je n’arrivais pas à croire que c’était de mes mains que cet homme avait péri… Et pourtant…

Le danger me guettait, et j’entrais alors pour la derrière fois dans le manoir du Seigneur de Sharsir, afin de prévenir Fedriam de l’affaire et de nous enfuir au plus vite.

Fedriam n’eut pas le temps de me réprimander, de me chercher querelle, il fallait déguerpir. Elle arracha de son lit un drap sur lequel elle posa tout ce qu’elle pouvait trouver et qui pourrait nous être utile pour le voyage. Puis elle replia le tissu sur lui même, enfila une épaisse étoffe, et me prit par la main.

Nous parcourûmes des lieux… De la mince forêt à la roche déserte, de la roche à la lisière de la montagne… Mais ce parcours, je vous le conterai une autre fois, ami(e).
»

Nattes posa ses lèvres avec délicatesse sur la coupure désormais rétablie, plus se leva avec élégance avant de s’incliner devant vous, de manière respectueuse.
Dernière modification par Nattes le 18 oct. 2009, 15:36, modifié 1 fois.
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Nattes
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Re: Nattes, histoire d'une Sinane.

Message par Nattes »

Des paroles sûres, un débat à hautes voix, des mots presque criés, vos sens semblent alertés. Par curiosité, vous vous approchez du lieu d’où jaillissent ces paroles et, à votre grand étonnement, vous constatez qu’il ne s’agissait simplement que d’un marchand et de sa victime. Celui-ci, lourd et gras, s’empressait de trouver quelques arguments pour justifier son prix exorbitant. Celle-là, s’efforçait de répliquer en lui disant que s’il ne baissait pas ses prix, elle irait voir ailleurs. Mais… Ce visage, ses contours vous rappellent une personne… Oui… C’est bien Nattes qui se défend avec vigueur face à l’avide commerçant. Vous la voyez faire mine de s’en aller, et, dans un numéro digne du plus grand drame théâtral, mimer quelques gestes de désolation. L’homme, peiné, s’élance vers elle en lui murmurant quelques paroles. Malgré la distance vous séparant de la Sinane, ses yeux clairs et brillants vous atteignent. Le marchand, déboussolé, finit par offrir quelques viandes à Nattes, qui le remercie avec excès. Finalement, le butin en poche, elle s’avance vers vous à pas sûrs.

« Voilà une nourriture bien méritée ! Savez vous qui m’a appris comment marchander ? La réponse est bien simple…. Il s’agit de Fedriam. Mais, tant que vous êtes là, reprenons là où nous en étions. »

Nattes s’assit en tailleur, vous invitant à faire de même, en face d’elle. Son regard profond vous perd, et vous vous imaginez dans son village, dans son histoire, à sa place…

« Je crois que, ce sera la dernière fois que nous nous verrons, du moins, pour ce qui est de ce récit… »

Un bref sourire traversa son visage, un instant de gaieté, rompue par le début, ou la fin plutôt, de son histoire.

CHAPITRE SIX : La traversée, le départ.

« Nous nous enfuyons de la demeure du Seigneur de Sharsir et de son fils Yradd lorsque je m’interrompis, la dernière fois.

Après quelques denrées volées nous nous précipitâmes sur la voie menant le plus rapidement aux carrières dans la montagne. Fedriam connaissait bien cette route, lorsqu’elle était plus jeune, me disait-elle, elle parcourait sans cesse les lieux séparant Verlarian de son village d’origine, de l’autre côté de la frontière naturelle. Sa mémoire ne lui faisait pas défaut, de telle sorte que nous fûmes rapidement sur le bon chemin, et que nos yeux fatigués ne tardèrent pas à distinguer au loin le relief élancé. Cette ligne noire que nous percevions nous redonnait courage, même si, à mesure que nous avancions nous n’avions pas tellement l’impression qu’on s’en approchait…

Nous fîmes de nombreuses haltes. Pour nous restaurer, d’abord, et puis pour reposer nos crampes et nous laver, quelques fois. Mais nous devions nous hâter ; le Seigneur de Sharsir ne tarderait pas à trouver la dépouille de son fils, et à envoyer quelques troupes à nos trousses. De toutes façons… quelques soldats de plus ou de moins, nous n’étions pas à ça près ! Mais le problème résidait principalement dans le fait que la deuxième ligne de soldats qu‘on allait nous envoyer, ne serait qu‘à quelques lieux de nous, et nous rattraperaient facilement avec des montures. Par conséquent, si nous ne voulions pas nous faire assassiner par les hommes de main du père d’Yradd, il fallait presser le pas.

Fatiguées comme nous l’étions, il était dur de poursuivre le trajet d‘un rythme soutenu… De plus, l’âge avancé de Fedriam pesait sur sa forme physique, bien qu’elle soit Galdure. D’ailleurs, j’appris beaucoup de choses de son peuple, durant nos traversées. Elle m’expliquait le fonctionnement des grandes armes telles que les catapultes ou les trébuchets, et dessinait sur la terre des esquisses de ces machines que je n’avais jamais vu… Elle m’apporta également d’autres connaissances, notamment sur l’Art de l’alchimie et celui des apothicaires. Régulièrement, elle m’entraînait à de tâches telles que la reconnaissance de plantes et de minéraux que nous croisions sur notre route, et me listait les ingrédients nécessaires à l’élaboration de potions simples ou d’essences utiles. Je partageais son amour pour ces métiers, toujours impatiente d’apprendre un peu plus, de pouvoir enfin confectionner la plus grande des potions, le plus fort breuvage, la plus puissante des essences… Fedriam se réjouissait de voir en moi tant d’enthousiasme à l’apprentissage, mais, son bonheur n’était pas assez grand pour masquer une certaine crainte qu’elle gardait depuis notre départ du manoir. La peur d’être découvertes et torturées.

Nous nous arrêtâmes une seule longue nuit dans un village, proche de la frontière. Ce village prospérait à l’image de Verlarian, parce qu’il profitait des échanges entre Galdurs et Sinans, mais aussi parce qu’il accueillait les premiers Galdurs traversant la frontière ; ce village était le seul avant Verlarian à proposer ses services si proche du relief. Fedriam trouva bon que nous allions y « acheter » des montures, afin de nous rendre le plus rapidement possible dans sa cité d’origine. Là-bas, nous serions en sécurité, me disait-elle. Bien entendu, sans monnaie, il était difficile de payer de bons chevaux, capables de résister à de forts changements climatiques, et de parcourir nombres de lieux, sans trop se fatiguer. Il nous en fallait des robustes. Fedriam me murmura alors ce que je devais faire. Ce n’était pas si compliqué que ça… Je devais attirer l’attention du commerçant, en pleine nuit, faire comme si j’étais souffrante, et la Galdure se fonderait dans la nuit, volerait les animaux. Elle m’apprit alors, en trois minutes, quelques fausses grimaces, quelques cris, ni trop exagérés, ni trop faibles, histoire d’avoir l’air convaincante. Par contre, pour la suite du plan, nous devions improviser, suivant les évènements…

Je n’eus aucun mal à me faire plaindre, tant mes râles paraissaient réels. Heureusement, Fedriam avait prit soin de préparer une potion d’un liquide épais et rougeâtre à odeur nauséabonde, et de m’en répandre sur le corps, pour faire croire à des brûlures et à des plaies. Les chevaux hennissaient, c’est ce qui alerta le marchand, et pendant les secondes durant lesquelles il ne me portait plus attention, je m’enfuis en courant, le plus vite que je pus. Avec une rapidité extrême, j’enfourcha l’étalon qui m’était destiné et le poussa à galoper vers les montagnes.

Nous rions. J’étais fière de ce premier coup ! Je crois que Fedriam l’était tout autant que moi… Peu à peu, nos liens se resserraient… Ma deuxième mère, voilà ce qu’elle fut. Ces enseignements m’étaient précieux, et nombreuses furent ses histoires, qui, au coin du feu, suscitaient ma sensibilité. Je me plaisais à l’écouter, à m’abreuver du flot grave et continu de ses paroles mesurées, j’aimais simplement sa compagnie, son étreinte protectrice quand des pensées négatives survenaient.

Je crois que c’était la toute première fois que je posais le pied sur la montagne. Les monts majestueux s’élevaient sous nos yeux ébahis. Ils ne semblaient plus en finir, gouvernés par les brumes et nuages dans lesquels ils s’estompaient… C’est cela, un trait de crayon grossier et large, qui à mesure qu’il s’allonge, s’affine et se devine. Les neiges éternelles reflétaient les rayons aveuglants du soleil, faisant scintiller le relief de sa robe blanche. Les pics et montées abruptes faisaient souffrir les chevaux que nous montions, notre allure avait donc baissée d’un cran. Ca ne nous gênait pas, après tout, le paysage était splendide vu des hauteurs, on se pensait les seules au monde. Un tableau de lignes épurées se dressait bientôt sous nos pieds ; nous avions franchis la frontière. C’était finit. Nous étions en sécurité. Les armées n’oseraient pas traverser la montagne, et puis, s’ils souhaitaient que leur économie prospère, ainsi que leurs vies, il valait mieux pour eux de ne pas trop titiller les peuples Galdurs au voisinage…

Fedriam me montra de son index droit la cité au loin d’où on distinguait plusieurs parties. Elle m’expliqua qu’on se réunissait au centre de la ville durant l’hiver, et que, pendant la saison propice aux cultures, les Galdurs reprenaient place dans leurs chaumières aux alentours, pour cultiver la terre.

Je ne vous conterais pas les longs Fingéliens passés dans cette ville Galdure accueillante, parce que d’abord inintéressants, et parce qu’ensuite, ça ne fera que prolonger de trop mon récit. Sachez juste que je crois y être restée trois hivers, et ce n’est qu’au bout de cette troisième saison froide que je partis pour Séridia.

C’était un soir, dans les souterrains de la ville. Pour ne pas changer, je confectionnais quelques essences sous l’œil protecteur de Fedriam. Pourtant, je ne me sentais pas bien depuis quelques mois ; j’avais envie d’aventure et de changer d’air… Cette monotonie m’exaspérait. Toujours les mêmes gestes, le même refrain, qui d’abord sonnait avec douceur à mon oreille, mais qui finit par me hanter à ne plus savoir quoi faire… L’ennui. C’est ce qui fait partit des pires choses que l’on puisse connaître, oui ; je m’ennuyais. Bien que ce peuple ne fasse aucune différence entre hommes et femmes, étant une jeune et fragile Sinane, on me croyait toujours incapable d’effectuer certaines tâches… On me disait :
« Laisse, c’est trop difficile pour toi ! ». On me répétait : « Tu es trop jeune et pas assez forte pour entreprendre ce genre de choses. ». Et Fedriam s’y mit elle aussi. Tout cela me pesait…

Un jour, je cru que l’heure de ma délivrance était enfin arrivée ; j’entendis des rumeurs, des murmures, des histoires de terres dangereuses, des histoires d’aventuriers lancés dans des quêtes périlleuses. J’étais décidée, remontée. A peine eus-je ouï le nom du port où un bateau proposait d’amener quelques jeunes insouciants, que je préparais mes bagages pour la traversée. Bien entendu, Fedriam fût contre et voulut m’en empêcher. Mes dernières paroles furent :

« Tu as poursuivit mon éducation durant bien des Fingéliens, et je t’en suis éternellement reconnaissante. Mais maintenant, je n'ai plus besoin de tes conseils : j’ai grandit. Tu as peut-être essayé de me porter l’amour d’une mère, pourtant, tu n’es pas celle qui m’a mis au monde. Encore merci, mais je n’ai plus besoin de toi, à présent. Oui, j’ai grandit, et je grandirai encore… Je vous prouverai que je sais me rendre utile, même si désormais, tout ce que j’ai réussi à faire c’est laisser mourir ma famille et mon honneur. Il faut t’y résoudre ; laisse moi maintenant. »

»

De nouvelles larmes se forment dans les yeux brillants de Nattes. Quelques unes coulent et perlent sur ses joues, lentement… Pourtant, son visage n’affiche aucune tristesse ; même un sourire se glisse sur ses lèvres rosées…
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